LES WAPITIS DE JASPER

♦ 8 septembre 2014

     

Pour une fois, le service météorologique ne s’est pas trompé. Les cimes et les forêts entourant Jasper se sont parées d’un blanc éclatant, à peine adouci par le brouillard qui se lève. Quelques flocons de neige tombent encore, se mêlant à une pluie intermittente, fine et glaciale.

Il en faut davantage pour nous décourager. En ville, des avis de danger « wapiti en chaleur » sont placardés un peu partout. Ils indiquent les endroits où il est plus probable de les rencontrer. Une véritable invitation à braver l’interdit…

Jasper Lodge ? C’est de l’autre côté de l’Athabasca River, pas trop loin d’ici. Allons-y ! Nous voilà partis pour la chasse au wapiti.

Nous n’en trouverons point. Mais le coin est magnifique. Lacs entourés de forêts, chemins carrossables ou pédestres, tout incite à la promenade, d’autant plus que le cri plaintif du plongeon résonne au lointain.

« Tiens, en voilà un…, non, deux ! » m’exclamé-je, les jumelles à mes yeux. « Si nous tentions de les approcher ?  » Sitôt dit, sitôt fait, sans trop de difficultés d’ailleurs.

   

             

Il s’agit de plongeons imbrin. Une mère avec son jeune. Ils virevoltent sur la surface agitée du lac sans se soucier de notre présence. Nous assistons à une leçon de pèche. Ma caméra ronronne. Je suis heureux.

Bon, d’accord. « Mais les cerfs ? » me demandez-vous. Eh bien, les voilà. Au même endroit qu’ hier soir.

Cette fois, ils sont plus nombreux. Une demi-douzaine de biches et un joli garçon qui doit aller dans sa troisième année. Il se pavane parmi elles, va de l’une à l’autre, tente sa chance, sans succès. Nous ne résistons pas longtemps à l’intérieur de notre véhicule. De toute façon, de nombreuses personnes s’agitent à droite et à gauche, en bravant parfois les plus élémentaires mesures de sécurité.

Les wapitis finissent par s’enfoncer dans la forêt. Nous les suivons à une distance raisonnable, en prenant surtout garde de ne pas froisser la susceptibilité du mâle. Ils gravissent une petite butte et descendent à la rivière.

   

                 

Ils vont boire ? Pas du tout. Certains précautionneusement, d’autres plus hardiment, tous ils se jettent à l’eau et traversent l’Athabasca River. La plupart nagent vigoureusement dans les eaux qui doivent être glaciales, quelques-uns, plus paresseux, se laissent transporter par le courant et atteignent la rive opposée cent mètres plus bas. Nous n’avions jamais vu un tel spectacle. Nous nous en régalons.

De l’autre côté de la rivière, plus ou moins là où nous étions tout à l’heure, un groupe encore plus important les attend. Un magnifique mâle va et vient dans le troupeau. Il doit avoir huit ans, mais j’ai de la peine à compter les ramifications de ses bois. Il bouge sans cesse. Il brame à tout va, d’un cri beaucoup plus discret de celui, roque et puissant, de nos cerfs à nous. Nous l’observons longuement dans ses tentatives de mettre de l’ordre dans sa bande indisciplinée de femelles.

Y parvient-il? Tous les garçons qui me lisent connaissent la réponse à cette question.

Malgré toutes nos aventures, il est encore tôt. Nous faisons route pour Hot Spring, à l’est du parc. Au gré de l’action du vent, les nuages nous emprisonnent dans une cape grise et monotone ou alors ils s’ouvrent, en laissant filtrer une lumière douce et tamisée. Par chance, c’est cette dernière variante qui nous accompagne lorsque nous croisons au bord de la route d’autres wapitis. Malgré le vent et les rafales de pluies intermittentes, nous voilà en train d’escalader une pente herbeuse pour approcher le mâle, paresseusement couché en position dominante.

Mais que fait-il ? Il bouge, il vient vers nous, cet enfoiré. Demi-tour immédiat. En quelques secondes, il occupe notre ancienne place. Je peux me tromper, mais je crois déceler une lueur narquoise dans son regard.

     

 

 

       

Tout rayon de soleil ne tarde pas à disparaître. Il neigeote. La route s’enfile dans une forêt de conifères qui ne laisse guère d’espace au regard. La température a considérablement baissé. Vingt degrés en moins que les jours précédents. Claude, Christine et Louis n’ont aucune envie de quitter la voiture pour le pique-nique de midi. Moi, je suis venu dans les Rocheuses pour affronter une nature hostile. Je mâche mon sandwich à l’extérieur, en essayant de ne pas montrer à mes compagnons d’aventure que je tremble de froid…

                 

   

Depuis un moment, nous n’avons pas croisé une voiture. Le parking de Hot Spring est pourtant presque complet. Et pour cause… Un peu plus loin, une bonne centaine de personnes semble prendre du plaisir à barboter dans une piscine en plein air. Quant à nous, nous préférons une bataille de boules de neige.

Les wapitis de Jasper sont revenus. Nous apercevons de loin les voitures arrêtées au bord de la route et nous cherchons un bon coin pour les observer. Un grand mâle se tient à l’écart du troupeau. Il y a beaucoup de chances qu’il vienne le rejoindre. Chacun de nous prend position, derrière un arbre ou un buisson. Le voilà, il arrive.

 

 

   

Il passe devant nous, à une trentaine de mètres, pour remettre de l’ordre dans son harem. Tout ce beau monde disparaît dans les sous-bois. Nous effectuons un large détour dans la forêt, convaincus qu’ils vont descendre à la rivière. Soudainement, des branches bougent devant nous, en contrebas. Le mâle nettoie ses bois. Christine, Claude et Louis se planquent derrière un sapin. Moi, je m’écarte de son chemin présumé et mets ma caméra en position.

Il sort de sa broussaille et se dirige vers mes compagnons. Lorsqu’il est à cinq mètres d’eux, il change d’avis et vient vers moi. Inutile de dire que ma caméra filme maintenant le ciel, car je m’empresse de décamper. Vu de près, c’est vraiment un animal impressionnant de beauté et de puissance.

Dans l’espoir d’apercevoir l’ours que nous cherchons depuis notre arrivée, nous avons réservé en fin d’après-midi un tour d’observation de la faune. Bien que sceptiques sur ce genre d’aventure, nous nous étions dits qu’un guide local devait savoir où se rencontrent plus facilement les animaux. Soyons généreux. Ne nous alourdissons pas sur cette minable expérience et passons à autre chose.

Retrouvons donc notre légendaire bonne humeur en dînant dans un bon restaurant de Jasper : le « Syrah ». Une petite carte de mets soignés et une excellente bouteille de Malbec.