Nous l’avions déjà soupçonné hier soir. Nous en avons la confirmation ce matin. Il fait plus frais à Exeter. Les traditionnelles bouillottes font leur apparition. Personne ne les refuse. Il est très agréable de prendre la route en gardant la chaleur du lit que nous venons de quitter…
Un magnifique lever du jour inonde arbres, buissons et plaines de la savane. Perché sur un arbre, un vautour moine scrute l’horizon. Cherche-t-il, comme nous, le léopard ?
Peut-être. Exeter a beau être son territoire de chasse, il faut encore le trouver. Fauve secret et mystérieux, il se cache. Furtif, il se dérobe sans cesse. Farouche et indépendant, il ne se concède guère. C’est aussi pour cela que je l’aime.
Blaine et Colbert examinent les traces sur le sable de la piste. -En voilà des fraîches- s’exclament-ils ensemble. Sept paires d’yeux observent buissons et frondaisons des arbres. Inutilement. Il pourrait être caché à deux pas de nous, immobile, un petit sourire narquois sur ses moustaches. Nous ne le verrions pas
Colbert quitte son siège. Armé de sa seule radio, il s’engouffre dans la brousse. Nous cherchons ailleurs. Lorsque nous le retrouvons, une demi-heure après, à peine essoufflé, son regard nous dit déjà qu’il n’a rien déniché.
Le temps passe. Oiseaux, impalas, buffles et hippopotames attirent à peine nos regards. Nous voulons le léopard. Pourquoi donc essayent-ils de détourner notre attention ?
Et puis, zut. C’est raté. Autant retourner au lodge pour un bon petit-déjeuner. Il ne perd rien pour attendre. Nous continuerons à le traquer cet après-midi.
Nous suivons traces et bruits dans la savane depuis désormais deux heures. Pas de chance. Nous venons d’apercevoir un magnifique lion mâle dans la plaine, mais nous n’avons pas pu l’approcher : il est sur le territoire de Singita, une autre réserve privée. Blaine n’a pas le droit d’y pénétrer. C’est un peu frustrant, mais il faut jouer le jeu.
Nous suivons la piste. Dominique sort de sa torpeur : -les impalas, elles alertent-. Bien sûr… Et pourtant… Un virage et il est là, venant droit sur nous, le long du lit d’un torrent asséché.
C’est un magnifique mâle, comme d’habitude totalement indifférent à notre présence, misérables choses qui ne sommes même pas une proie. Il marque un temps d’arrêt juste devant notre jeep, daigne nous accorder un bref regard et il s’en va, en suivant son chemin secret.
Pendant un moment, il joue à cache-cache avec nous, allant et venant de la piste à la brousse, de la brousse à la piste. Puis, il décide que nous l’avons assez ennuyé. Il disparaît.
Mais il a sous-estimé notre opiniâtreté. Blaine fonce, écrase quelques arbres, se fraie un chemin dans les broussailles, fait demi-tour devant un obstacle infranchissable, escalade et dévale des pentes raides. Colbert, perché sur son siège de pisteur, lui indique le bon chemin à coup de grands gestes de la main. Il est notre GPS…
Nous sommes ballottés tel un bouchon dans les vagues, mais nous nous accrochons. Nous le retrouvons, nous le perdons, nous l’apercevons et nous le perdons encore. Mais nous finissons par gagner.
Il se couche. Il se relève. Il fait quelques pas, nous regarde et bâille. Puis, son attitude change, son regard se fait alerte, ses muscles se tendent. Une hyène, son mortel ennemi, traîne dans les parages. Un court rugissement résonne dans l’air : il affirme sa puissance et sa certitude d’être le plus fort.
Je suis aux anges.
Le temps a passé. Le soleil a disparu et les ombres de la nuit nous entourent. C’est l’heure de partir, de quitter notre léopard et de savourer autour d’un verre le souvenir de ces moments d’émotion intense, de pur plaisir.
Même Françoise, qui ne boit pas d’alcool, sirote ce soir un gin-tonic, les yeux perdus dans ceux du fauve…