UN LÉOPARD BIEN MATINAL

♦ 9 juin 2015

   

Je suis à peine réveillé. Sur le pas de porte du chalet, je fume ma première cigarette. Il fait encore nuit, mais les premières lumières du jour pointent leur nez. Tout près de moi, un lion rugit.

Trois-cents mètres environ  séparent notre chambre du bâtiment principal où le café nous attend. Mes pauvres sens en alerte, ma lampe de poche fouille bien plus attentivement que d’habitude les buissons et broussailles qui bordent le chemin.

Soudainement, j’aperçois une queue. Le temps de contrôler que Christine soit bien proche de moi, la queue se transforme en un léopard. Il se faufile dans l’ombre, parallèlement à nous, à une distance d’environ 30 mètres. Il y en a cinquante à parcourir jusqu’au lodge. Les secondes s’égrainent lentement, très lentement. Heureusement, encore une fois, elle, car c’est une femelle, ne s’intéresse aucunement à nous. Elle disparaît dans le noir.

Christine pénètre dans le bâtiment. Avec un aplomb parfait, elle annonce très calmement : -Nous avons un léopard dans le camp !- Branle-bas de combat. Les guides abandonnent nos cafés pour se précipiter dehors, pour repérer les traces.

Pendant un bon quart d’heure, nous sommes les vedettes d’Exeter River Lodge. Seule notre modestie naturelle nous empêche de nous en réjouir…

Devinez-donc le projet du jour. Les trois jeeps du lodge se mettent à la recherche de notre léopard. Ses traces sont bien fraîches, c’est certain. Nous entendons même les oiseaux lancer leurs cris d’alerte. Elle est toujours dans le coin.

Tout le monde est aux aguets, les yeux grands ouverts à la recherche d’un frémissement de buisson, les oreilles tendues, à l’écoute du moindre bruit…

                         

En vain. Nous ne la retrouverons pas.

Un coup d’œil à la montre. C’est déjà l’heure de revenir au camp et de noyer notre dépit dans une mare de café et croissants…

Nous partageons notre petit-déjeuner avec des nouveaux arrivés. C’est notre troisième jour ici et nos compagnons d’aventure changent sans cesse. La durée moyenne du séjour est une nuit, voire deux, ce qui est, à mes yeux, une erreur. Si vous êtes passionnés d’observation animalière, il faut créer un lien entre vous et votre guide. Trois nuits me semblent un minimum, quatre ou cinq c’est parfait. Il vaut mieux rester longuement dans un lodge, qu’en faire plusieurs pendant une très courte période.

Enfin, il est vrai que chaque visiteur a ses exigences…

Mais, revenons à nos animaux. L’heure de l’apéro nous offre une scène inconnue, même aux vétérans d’Afrique que nous croyons être. Près de la rivière, à quelques pas de notre arbre à saucisses, deux varans s’accouplent. C’est très sportif: les deux animaux s’entortillent l’un sur l’autre, dans des postures qui semblent davantage un combat qu’un acte de plaisir. Il n’est pas simple d’être varan… Prélude à un après-midi riche en découvertes? Même pas. Pendant longtemps nous naviguons dans la savane sans rien dénicher de particulier. Juste quelques clichés pour agrandir notre collection.

                             

Lorsqu’enfin nous rencontrons un superbe éléphant mâle qui se pavane à quelques mètres de nous, il est déjà temps de partir. Une autre équipe a découvert un groupe de lions. Blaine fonce, les fauves sont dans un coin éloigné de la réserve.

Je ne peux pas m’empêcher de penser que l’observation d’une pride pouvait attendre quelques minutes supplémentaires. Pourtant, notre guide a raison. Nous sommes à peine arrivés sur place, dans la lumière déclinante de l’après-midi, que nous assistons à un ballet extraordinaire, mis en place par un metteur en scène de grand talent.

Treize lions, quatre femelles et neuf sub-adultes sont paresseusement étalés dans la savane. La femelle plus âgée ouvre un œil, puis l’autre, se gratte le museau, puis se lève. Elle donne le ton. Douze autres têtes se dressent. Dans une symphonie parfaitement orchestrée de bâillements et d’étirements, toute la troupe se met en branle, plus ou moins rapidement, peu ou prou décidée. C’est le début de la chasse. Nous les suivons difficilement, en nous jouant de tous les obstacles, dans les broussailles. Les lions disparaissent et apparaissent, parfois à quelques mètres de nous, parfois sur une butte qui nous domine. La nuit est désormais là. Les fauves sont des silhouettes à peine visibles, illuminées pendant quelques secondes par le faisceau de la lampe maniée par Colbert. C’est envoûtant.

                           

Je suis là, dans le noir presque absolu, au milieu de griffes et dents acérées prêtes à tuer. La brousse résonne d’appels qui doivent glacer le sang à leurs futures proies. Pourtant je ne ressens aucune peur. Plutôt de l’excitation et sûrement du plaisir. Inconscience, routine ? Certainement, mais c’est tellement beau…

                           

J’aimerais rester toute la nuit, suivre nos lions jusqu’à l’aboutissement de leur quête, les voir terrasser leur proie. Ce n’est pas possible. Nos guides donnent le signal de départ.

Il y a pas mal d’années, pas loin d’ici d’ailleurs, dans une réserve voisine, je me souviens encore des frissons qui me parcouraient lorsque j’essayais d’apercevoir, dans les ténèbres de la nuit, la silhouette furtive du lion qui allait nous attaquer.

Autres temps, autres mœurs…