Gamin, voir adolescent, je voyageais déjà, tout au moins avec mon imagination, sur les traces de John Wayne, héros solitaire, maussade et généreux, preux chevalier au coeur d’or, au fil des nombreux westerns de l’époque.
Vous vous souvenez peut-être de la « Prisonnière du désert » ce magnifique film de John Ford où Etan Edwards et ses compagnons chevauchent dans le désert, entouré de Comanches, dans des décors resplendissants. Si c’est le cas, vous vous souvenz aussi de Monument Valley, où ont été tournées de nombreuses scènes de ce western.
Bien des années plus tard, je suis enfin vraiment devenu John Wayne. Au volant d’un cheval moderne, je me dirige vers ces lieux mythiques et je dois avouer que je ressens une certaine hâte d’y parvenir…
Vingt dollars plus tard, nous pénétrons enfin en terre navajo, théâtre des gestes d’un autre héros de mon adolescence : Tex Willer ou Aquila della Notte, le chef blanc d’une tribus d’indiens… L’hôtel The Wiew n’évoque en rien ces périodes glorieuses. D’une structure très contemporaine, il n’a rien de spécial. Néanmoins, depuis la terrasse de notre chambre le coup d’oeil sur les trois rochers les plus connus du parc, West Mitten Butte, Merrick Butte et East Mitten Butte est extraordinaire.
-Vite, vite, dépéchez-vous- j’ai envie de crier à mes compagnons de voyage. Le ciel est bleu, mais quelques nuages ne me disent rien de bon. L’endroit est féérique, mais le soleil est indispensable pour l’apprécier pleinement.
Fort heureusement, ils ne traînent pas trop.
Nous sommes bientôt sur la route qui fait le tour du parc. Dix-sept miles de piste assez défoncée qu’il ne faut pas aborder trop vite, même avec un véhicule tout-terrain. Mais qui a envie d’aller vite ?
Buttes, mesas et rochers aux formes les plus étranges se succèdent. A chaque tour de roue, à chaque pas, elles changent de forme et de couleur. L’orange se décline dans toutes ses nuances. Très foncé au premier plan, pâle, presque rose au lointain.
Impossible de ne pas s’arrêter tous les cents mètres.
-T’as vu celui-là ? Un moine encapuchonné !-
-C’est vrai. Et là-bas, à droite, on dirait un éléphant…-
La fantaisie au pouvoir. Le temps passe. Pris par le spectacle, nous ne nous sommes même pas rendu compte que les nuages de tout à l’heure forment désormais une barre compacte là où le soleil se couchera. Nous n’aurons pas droit au spectacle tant attendu qui illumine le parc. Tant pis. Cela reste fascinant.
Nous comptons bien nous remettre de cette petite déception avec un excellent repas du soir au restaurant de l’hôtel. Caramba, encore raté. Une cuisine de qualité très moyenne et une interdiction de vendre de l’alcool. Nous sommes en réserve navajo et la loi l’interdit. Encore une de ces réglementations ridicules si typiques des Etats-Unis. Il est certain que cela empêchera l’indien le désirant de s’enivrer…
Heureusement, il y a la vue. Même dans la lumière déclinant du soir, les trois buttes sont magnifiques. J’ai hâte de les voir au lever du soleil. Une courte discussion pour décider qui occupera quelle place, histoire de multiplier les points du vue et ensuite au lit. Le réveil sera rude demain matin.
Christine profite encore des derniers délicieux instants d’un lit très douillet. Je suis déjà sur la terrasse de notre chambre. Il fait frisquet et sombre, mais un semblant de lumière pointe, minuscule, à l’horizon.
Le temps fait son oeuvre. Les ténèbres se déchirent, l’ombre se dissout. La silhouette des célèbres cailloux se dessine, noire et homogène tout d’abord, puis de plus en plus détaillée. Le violet cède sa place au rose, la lumière fuse.