Ce soir, nous dormirons à Landmannalaugar, ou plutôt à Landmannahellir, à une quinzaine de kilomètres de notre but, où nous avons loué une cabane pour éviter de devoir camper. Pour y arriver, nous avons concocté un parcours un peu spécial : nous emprunterons la F332, une piste très peu fréquentée par les touristes, qui nous amènera à Haifoss, une chute que Christine et moi-même n’avons jamais pu admirer.
À titre de renseignement, nous ne possédons que les quelques impressions relatées par un internaute qui l’a parcourue en été 2013, en vélo. Nous nous rassurons en nous disant que, s’il est parvenu à passer avec deux roues, nous y parviendrons bien avec huit… Nous verrons.
Le ciel est très menaçant. La pluie ne va tarder à tomber, à moins que les caprices météorologiques islandais ne tournent, pour une fois, en notre faveur.
Dès la route en terre 349, prélude à la vraie piste, nous sommes seuls. Nous avançons sans problème. Pas besoin d’enclencher les quatre roues motrices. Puis, la F332 nous accueille. Le chemin se fait plus étroit, il monte et descend dans des paysages désertiques. La pluie, qui tombe maintenant sans intermittence, leur enlève sûrement un peu de charme. L’horizon est bouché, les verts des lichens sont délavés, les couleurs sont ternes.
La F332 a été certainement tracée pour la construction et l’entretien d’une ligne à haute tension que nous suivons sans interruption. Le vent, assez violent, fait parfois danser les câbles. Pourvu qu’ils ne nous tombent pas sur la tête…
Les premiers gués sont franchis dans l’allégresse. Otto s’amuse. Moi aussi.
Mis à part quelques cassures assez profondes, qu’il faut affronter au pas, la piste n’est pas difficile, juste un peu bosselée, ici et là. Mais nous attendons le dernier gué, juste avant Haifoss. Sur notre carte, il semble assez important.
Le voilà. Il est assez large, environ une centaine de mètres, peut-être plus. Pas trop de courant, il peut donc être assez profond. Néanmoins, il n’est pas assez impressionnant pour nous pousser à sortir les bottes de pêcheurs et aller le tester. Inconscience ou fainéantise ? Nous nous y engageons prudemment. Pas de quoi fouetter un chat. Cinquante centimètres d’eau, soixante tout au plus, et un fond très irrégulier. Nous sommes vite de l’autre côté.
Il a enfin cessé de pleuvoir. Ça tombe bien. Haifoss approche.
Un court sentier nous en dévoile toutes les facettes. Elle n’a rien à envier aux plus belles cascades d’Islande. Une masse d’eau rectiligne tombe d’une falaise abrupte, haute de plus de 120 mètres, pour s’écraser sur un rocher qui semble avoir été placé à cet endroit par un magicien de la nature. Les couleurs sont saisissantes. Un peintre doué, très doué, a dessiné un trait blanc traversant une feuille noire. Non content de son chef d’œuvre, il y a ajouté quelques taches d’un vert intense.
Le peu de lumière qui nous a accompagnés dans notre découverte d’Haifoss a déjà disparu. En voiture, donc. Notre but du jour est encore loin.
Lorsque nous arrivons à l’intersection route 26/F225, nous devons nous rendre à l’évidence. Nous n’avons pas rencontré le plus petit magasin où refaire nos provisions, à l’exception de celui de la station d’essence, près de l’endroit où nous avons passé la dernière nuit. Nous n’avions pas voulu nous y arrêter, car le choix était limité ! Conseil de guerre. De deux choses l’une : ou nous dînons lyophilisé ou nous allons jusqu’à Hella, 100 km de rallonge, aller-retour. À vous de deviner notre choix…
Tout ne vient pas pour nuire. Nous dénichons un petit restaurant à Leirubakki, où nous nous abritons de la pluie et du vent pour y manger très bien.
De retour sur la F225, nous découvrons un endroit d’une beauté sauvage, à couper le souffle. Nous roulons sur un tapis de sable d’un noir intense. Tout autour de nous, des bombes de lave, ciselées par le temps, ruines de châteaux maléfiques, nous plongent dans un décor irréel, rendu encore plus angoissant par la pluie et le ciel sombre. C’est certain, nous sommes sur l’une des plages de l’enfer. Les rares taches de couleur, le vert des mousses et le rose des lichens, ne sont qu’un leurre. C’est fascinant et sûrement l’un des beaux endroits que j’ai vu en Islande.
Pendant une quinzaine de kilomètres, la piste s’engouffre, sinueuse, dans les montagnes. Nous croisons deux ou trois véhicules, pas davantage. Je m’attendais à plus de monde.
Puis, elle s’élargit. Les verts aux mille nuances remplacent les noirs de la lave. Petits lacs et torrents font leur apparition, leur surface modelée sans cesse par le vent. À l’horizon, nous croyons distinguer, dans une lumière défaillante, les premiers contreforts colorés de Landmannalaugar.
Landmannahellir est un terrain de camping qui dispose de quelques huttes au confort minimal. Le chauffage au gaz en fait partie. Il est le bienvenu, car il fait froid en cette fin d’après-midi. Je me félicite en silence de ne pas avoir choisi de camper aujourd’hui.