Cape Town, la privilégiée, est assise sur deux océans. L’eau la façonne, elle et ses habitants. Mais, gigantesque miroir aux multiples facettes, elle nous fait aussi miroiter des dizaines de paysages toujours différents. Une vague par là, un promontoire par ici et une baie tout au fond, bordée de bancs de sable.
Parfois bleue, parfois grise, striée de déferlantes, rarement verte et transparente, elle fait briller mes yeux, amène mon imagination dans des voyages toujours fascinants.
Comme ce jour-là ou peut-être un autre encore, au cap de Bonne Espérance tout d’abord, puis à celui d’Agulhas, là où Indien et Pacifique se rencontrent.
Un autre jour, ou le même, je ne sais plus, nos regards quittent les rivages, se perdent au large de False Bay, scrutent la houle.
-Là, là bas… J’ai vu quelque chose- s’écrie l’un de nous.
Une place de parc nous permet de nous extirper de la circulation. Dix rands au gardien de notre voiture et nous sommes sur la berge, jumelles pointées, appareils photo en batterie.
Car c’est l’époque des baleines… Des milliers de baleines franches australes viennent ici pour hiverner et mettre bas, entre fin juin et octobre.
-Je viens de la voir plonger- s’écrie Christine.
-Où ? Je ne la vois pas… Ah oui, elle a refait surface- lui répond Sophie.
-Elle plonge à nouveau… Non, la revoilà- ajoutons Christian et moi.
L’excitation retombée, un drôle de doute s’insinue dans le groupe. Nous réglons nos jumelles, nous épions la mer… Ça y est. Nous avons tous filmé et photographié un rocher qui, submergé par les vagues, refait patiemment surface. J’aimerais vous dire que cela n’est arrivé qu’une fois, mais je vous mentirai.
Boulders Beach. Pas de baleines, mais les manchots sont là. Je sais, je sais, je vous en ai déjà parlé, mais ne pouvions pas priver Sophie et Christian d’un tel plaisir. Beaucoup plus de monde qu’il y a deux ans, mais ces drôles d’oiseaux, maladroits et dandinant sur terre, racés et follement élégants dans l’eau, nous offrent un nouveau ballet. La nature, chorégraphe d’exception, a mis en place des choeurs derrière chaque buisson, des danseuses au justaucorps piqué de noir et blanc au premier plan, des sauts et plongeons là bas sur la plage. Des dizaines et des dizaines de figurants vont et viennent sur la scène.
Un autre jour est né. Nous avons pris la route très tôt, afin d’échapper aux mirages. Hermanus, le village des baleines, est à deux heures et quelques de notre logis. Nous avons réservé quatre places sur le premier bateau qui quitte le rivage car nous voulons profiter des lumières du matin.
Un frêle esquif d’une quinzaine de mètres de long nous attend au port. Ses 32 places ne sont occupées que par nous-mêmes et un jeune couple. Quelle aubaine !
Nous voilà sur une mer calme, sous un soleil resplendissant. Il n’y pas de vent. Toutes les conditions sont réunies. Là bas, à l’horizon, un rocher apparaît, mouillé par la houle. Merci, nous avons déjà donné…
Drôle de rocher, néanmoins. Il émet des jets de vapeurs. Notre première baleine nous fait des clins d’oeil. Tout le monde se précipite sur le pont supérieur. L’adrénaline monte.
Mais le spectacle ne fait que commencer. Nous nous approchons. Un groupe de baleines nous attend patiemment. Combien sont-elles ? Je n’en sais rien. Pris par mes cadrages et attentif à ne pas tomber à l’eau, car le bateau tangue, j’ai oublié de conter…
Moment extraordinaire. Ces bestioles, parfois plus longues que notre coquille flottante, frôlant les soixante tonnes, voir davantage, s’approchent élégamment de notre bord. Un court instant, puis elles plongent pour réapparaître de l’autre côté. Et, lorsqu’elles ont terminé de jouer avec nous, elles nagent en rond, paresseuses et splendides, nous montrant quelques fois leur nez, plus souvent leur dos. Elles sont tellement énormes qu’il est impossible de les voir en entier. Il ne nous reste qu’à imaginer ce qui est caché par l’eau…
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Moment extraordinaire que je voudrais éternel. Mais les règles sont strictes par ici. Il faut éviter de les déranger trop longtemps.
L’eau nous entoure. Elle nous accueille au réveil, depuis la terrasse de notre appartement à Calm’s Bay , nous accompagne dans nos aventures et, même si nous la quittons aujourd’hui, nous la retrouverons ce soir.
Les routes de l’intérieur du pays se faufilent d’une ferme à l’autre, immenses propriétés où les autruches prennent souvent la place des vaches. Rapidement monotones, elles nous permettent d’avaler des kilomètres. Parfois, elles deviennent pistes, se font plus intimes.
Un stenbok surpris par notre présence prend la fuite. Pas assez rapide l’ami. Si nous étions prédateurs…
Au bout d’une piste, voilà De Hoop Nature Reserve, notre étape du jour. Des dunes, ici encore recouvertes de végétation, nous annoncent la proximité de la mer. Nous la retrouvons au pieds des deux charmants chalets que nous avons loués pour la nuit. De telles retrouvailles méritent une bonne bouteille…
Nous longeons la mer, au gré de nos détours, puis elle nous arrête au bout de dunes battues par le vent.
Ce même vent qui empêche les sorties en bateau, à la recherche de nos amies les baleines. Tant pis, nous ne les verrons pas. Nous nous consolerons avec zèbres et damalisques à front blanc qui se baladent dans la réserve avec nous. Un bruant du Cap nous tient compagnie un court instant.
Un endroit fort agréable pour faire nos adieux à cette mer enchanteresse…que nous retrouverons en fin de voyage. Mais ceci est une autre histoire.