Certes, la Finlande est la terre du Père Noël et du renne Rudolphe. Mais des rennes, nous en voyons tous les jours. Nous voulons un élan !
-Regarde le panneau- me dit Christine. -Ralentis, nous pourrions en croiser un…
Cent-septante sept kilomètres et quarante-neuf panneaux plus tard, nous devons nous rendre à l’évidence : il s’agit de panneaux publicitaires.
Nous nous trouvons dans la région de Rovaniemi. Nous savons qu’une agence, Lapland Welcome, organise des safaris pour voir les élans. Nous nous méfions de ce genre d’excursions dont nous avons pu constater le côté « attrappe-nigaud-touriste » par le passé.
Mais nous n’avons guère le choix. Et puis, en cette période de l’année, nous devons être les seuls touristes étrangers. Peut-être…
Vingt-et-une heure. Anthony, notre guide et chauffeur nous attend. Eurêka ! Nous sommes seuls et nous pouvons installer nos trépieds et nos caméras dans la fourgonnette, face à la porte coulissante. C’est parti pour six heures de quête.
Et nous avons de la chance. Nous roulons depuis une petite demi-heure. Là-bas, au fond d’une clairière, à 200 mètres peut-être, une jeune femelle nous regarde, inquiète. Nonchalamment, j’enlève ma caméra du pied, branche le doubleur de focale et tourne quelques images, sans vraiment me soucier de leur qualité. Nous en verrons d’autres, plus proches, n’est-ce-pas ?
Oui, bien sûr. L’oreille d’un jeune dans les buissons et une silhouette fugitive d’une jeune femelle lors de notre retour à Rovaniemi. Et ce n’est pas faute d’avoir cherché, je vous l’assure.
Toutefois, la soirée est une réussite. Le ciel est un savant mélange de nuages et d’éclaircies. Le soleil déclinant, puis ressurgissant, nous inonde de lumières fabuleuses. Tous les autres dorment, la nature nous appartient. Une femelle grand tétras nous souhaite une furtive bonne nuit. Ou alors un bonjour ? Je ne sais plus.
Certes, Anthony nous mène d’une main sûre le long d’un fleuve de paroles et gestes cent fois répétés. Mais il le fait avec élégance. Nous pourrions presque croire être trois copains partis explorer des terres encore vierges.
Une courte promenade sur un sentier de planches aboutit à un petit lac aux eaux presque noires. Pendant un instant, nous n’entendons que la pluie tambouriner à sa surface. Puis, au-delà des arbres, des grues nous jouent un concert.
…Deux jours plus tard.
Nous sommes très confortablement installés dans un superbe chalet enfoui dans la forêt, à Ruka, station de ski se vantant de posséder trois pistes noires et une autre longue de bien 1300 mètres. Il est vingt-deux heure et nous nous apprêtons à déguster des excellentes « tagliatelle » sauce bolognaise.
Sauce quoi ? Un vague goût de tomate, du ketchup en abondance, beaucoup d’ail, pas un gramme de viande. C’est pourtant un produit d’une maison italienne. Les pâtes finissent à la poubelle.
Pour calmer notre faim, il n’y a qu’une solution. Partir, à la chasse à l’élan. Nous savons maintenant qu’ils sortent des bois après minuit.
Le temps est maussade, le ciel gris, la lumière déclinante. Qu’importe. Nous roulons depuis une bonne heure, peut-être plus. Christine m’ordonne de m’arrêter, de faire marche arrière. Une tâche claire à l’orée de la forêt, assez loin. Ça bouge. Pas de chance, c’est encore un renne.
Mais, que fait-il ? Il vient vers nous, au pas de charge. Pendant un instant, nous nous croyons en Afrique, face à un éléphant. Cinquante, trente, dix mètres. Le voilà qui s’arrête, nous donne un bref coup d’oeil et broute. Drôles d’animaux, ces rennes.
Deux sternes arctiques dans une drôle de posture, un lac et un couple de plongeons (arctiques, eux-aussi) nous détournent de notre chasse quelques instants. Pas pour longtemps. Où sont les élans ?
-Le voilà- s’exclame Christine. Toujours les mêmes blagues…
Et bien non. Elle est bien là, à côté de nous, partiellement cachée par les buissons, cette jeune femelle. Pas question de descendre de voiture, d’installer nos trépieds. Elle partirait. Christine est du mauvais côté, ne peut pas dégager son canon photographique. Moi, je filme par la fenêtre ouverte, puis à travers le parebrise lorsqu’elle passe devant nous. Certainement pas mes meilleures prises vidéo. Mais qu’importe ?
Trente secondes du pur plaisir.
Nous l’avons cherché et nous l’avons trouvé. Chris et Rudy 1, élan 0. Un chef d’oeuvre de but qu’il convient de fêter, à une heure du matin, en dégustant une excellente soupe de pois au lard, arrosée d’un non moins excellent riesling d’Alsace. En pleine nature, seuls et heureux.