L’ÎLE DE BIG ISLAND

♦ 23-29 novembre 2016

   

Encore un avion. Le dixième que nous prenons depuis notre départ. Et ce n’est pas fini, loin de là… Même pas une heure de vol et nous voilà à Hilo. La ville est plus à taille humaine que Honolulu. Pas de luxe et de magasins reluisants, mais une architecture plutôt vieillotte. On se dirait dans une ville du début du siècle passé.

Un hamburger sur le pouce, la recherche d’un supermarché, quelques emplettes et nous sommes en route pour notre logis qui se trouve à Volcano, un village sans prétentions qui a l’avantage d’être la porte d’entrée du parc national homonyme.

La maison que nous avons dénichée est absolument extraordinaire. Enfouie dans la forêt tropicale, elle a l’air de cabane de Robinson Crusoe. Un Robinson aisé, toutefois. Elle est énorme, très bien construite et super équipée. Nous n’allons pas manquer de place…

Un vrai plaisir de prendre l’apéro et de préparer notre premier repas chez nous.

Nous sommes au pays des volcans. Notre chance habituelle fait que la lave du Kilauea a recommencé à couler dans la mer depuis peu de temps. On peut tenter de l’approcher en prenant une petite route qui conduit à Kapalana. En voiture donc. Qu’attendons-nous ?

En réalité, la route est interdite à la circulation à 12 miles du site. Les loueurs de vélos font fortune. Nous nous regardons… Où diable mettre les pieds photos ?  Une idée de génie plus tard, nous démarrons, une poussette collée à mon vélo. Toujours le même qui se dévoue…

                           

La route se faufile au milieu de champs de lave noirs et gris, égayés de quelques minuscules tâches de couleur,  rares fleurs et buissons qui ont trouvé un brin de terre pour survivre. C’est fascinant. La fin et le commencement du monde en même temps. Nous roulons péniblement sur un tapis de pierre ponce émiettée. Il faut faire attention à l’endroit où nous posons le pneu… Au loin, nous apercevons la masse de vapeur crée par le feu liquide qui se déverse dans l’océan.

                                   

Quelques miles plus tard, je déchante. La route est barrée. Interdit d’avancer, danger. Tu parles. Encore un de ces interdits typiquement américains. Ici, on vit dans la hantise du procès pour responsabilités diverses et variées.

Pour une fois, je m’apprête à braver l’interdit. Je me retourne. Mes compagnons ne sont plus là. Ils étaient pourtant derrière moi il y a quelques minutes. Louis arrive, lancé sur sa bicyclette. Il maîtrise avec aisance un dérapage, évite un bloc de lave et me rejoint.

-Christine est tombée. Elle s’est blessée assez sérieusement à un bras. Il faut revenir, elle a besoin de soins-.

Pendant un instant le ciel me tombe sur la tête. Puis, mon amour reprend le dessus. J’aimerais écrire que je reviens à la vitesse du vent. Mais la route grimpe…

Notre chance habituelle fait que c’est le « Thanksgiving day ». Les deux centres de soins d’urgence que nous dénichons nous souhaitent une bonne fête et nous donnent rendez-vous pour le lendemain… Direction l’hôpital de Hilo.

Plusieurs heures et 14 points de suture plus tard, voilà le sourire de Christine refaire surface. Mais la journée est déjà bien entamée, le programme bouleversé. Un retour à la maison s’impose.

Nous n’avons pas vu la lave depuis la route. Qu’importe, nous la verrons depuis la mer. Nous avons réservé deux places sur le « Lava Boat » de 0830 heures. Deux ? Christine est handicapée et Louis n’apprécie guère les vagues.

Nous attendons sur un parking. Le bateau arrive, traîné par une voiture, sa cargaison de touristes encore à bord. Ils descendent l’un après l’autre. Un Américain me montre fièrement ses images. Il a raison. Elles sont superbes. Ces fleuves écarlates qui éclaircissent la nuit et transforment la mer en tapis d’ouate me fascinent. Je suis vert de jalousie. Il n’y avait plus de place sur le bateau du matin.

Encore quelques minutes et je verdis de rage, cette fois. La sortie est annulée, la mer étant trop déchainée.

Mais il en faut beaucoup plus pour entamer notre bonne humeur légendaire. Le parc des Volcans nous attend. Son Visitor Center nous apprend que le meilleur point de vue pour observer le cratère se trouve au Jaggar Museum. Nous y parvenons rapidement. La Crater Rim Drive étant à nouveau barrée trop tôt… Je descends de voiture sans me faire trop d’illusions.

Eh bien, j’ai encore une fois tort. Sous mes yeux s’ouvre le cratère de Halema’uma’u, lui-même au centre de la caldera de Kilauea, ce volcan actif depuis plusieurs années. Un autre de mes rêves le plus fou se concrétise. Deux pots de feu s’agitent, crachent leurs flammes, s’allument et s’éteignent.

Certes, nous sommes loin du cratère, un kilomètre à vue de nez. Certes, rien à voir avec les images d’Haroun Tazieff qui ont peuplé mon adolescence. Mais, pour la première fois de ma vie, j’aperçois la lave. Comme devant les grandes chutes d’eau, je suis fasciné par la puissance inexorable de ces masses qui emportent tout sur leur chemin. Je resterais des heures et des heures à les regarder. Mais je ne suis pas seul…

J’ai hâte d’y revenir cette nuit. Mais peut-être, pour une fois, nous pouvons anticiper le futur et cesser d’écrire. Laissons parler les images.

                                         

Le parc est un endroit magique. La Chain of Craters Road nous amène pendant une trentaine de kilomètres au milieu des champs de lave. Jamais, même en Islande, je n’ai vu une telle étendue de désolation. Le monde s’est figé.

Elle peut être noire comme poix, grise ou même verdâtre, là où, très vieille, a été recouverte par une maigre végétation. Elle peut être lisse, coupante comme un rasoir, ondulée comme le relief qu’elle a recouvert, granuleuse comme un champ labouré. Elle est toujours magnifique, surtout lorsque la lumière d’un temps qui varie entre l’orage et les éclaircies, nous offre un spectacle d’ombres et lumières.

             
           

Seul l’océan a pu l’arrêter. Mais, à la fin de la route, les vagues l’aspergent, tentent de la submerger, de peur qu’elle s’embrase à nouveau.

Nous avons tenté de la voir cette lave arriver à la mer, en vélo et en bateau. En vain. Nous aurons peut-être plus de chance en hélicoptère. Nous venons de décoller de Hilo pour le survol d’une partie de l’île. Le spectacle est sous mes pieds, mais mes yeux sont rivés sur les nuages de vapeurs qui s’approchent de plus en plus.

Mais la lumière du jour cache le torrent de feu. C’est magique, mais je dois avouer que je suis un peu déçu.

                       

Malgré la journée grise et la lumière blafarde, la suite du vol nous offre un spectacle saisissant. Sur les notes de la musique de « Hawaii, police d’État », la vision est féérique : fleuves de lave immobiles, figés, contournant parfois sans raison aucune un îlot d’arbres, routes coupées par les coulées, maisons avalées, cratères fumants. Le monde est en train de naître au-dessous de nous…

                         

L’île est grande, trop grande pour que nous puissions rester à Volcano pendant tout notre séjour. Direction Kailua-Kona, sur la côte ouest. C’est la partie balnéaire de l’ile, là où il fait toujours beau, parait-il.

Pour l’instant, le temps est exécrable. Dans un décor de brouillard et crachin, nous montons régulièrement à travers champs de lave qui se succèdent à eux-mêmes. Nous voulons atteindre le sommet du volcan éteint de Mauna Kea, à 4230 mètres d’altitude. Nous avons d’ailleurs loué un véhicule tout-terrain dans ce but.

                       

Je conduis l’œil rivé à l’altimètre. Mille mètres, mille cinq cent, deux mille… Le temps s’améliore. Nous avons désormais percé la mer de nuages et laissé la pluie derrière nous. La végétation aussi. Nous sommes à nouveau submergés par un désert de lave.

                   

Mais c’est un désert encore différent des autres : tout d’abord il est en pente, puis il est parsemé de sommets de volcans et cratères éteints, parfois masqués par un nuage solitaire. C’est sauvage et c’est beau.

Nous faisons halte à deux mille neuf cent mètres, au Visitor center, histoire de nous habituer à l’altitude et de piqueniquer. Fromage et salami ne me semblent pas avoir un goût différent, mais enfin…

J’enclenche les quatre roues motrices. La route monte sèchement maintenant, avec plusieurs tourniquets. La voiture peine. La pauvre, elle manque d’oxygène. A trois mille cinq cent mètres, nouvel arrêt. Je fume une cigarette…

Et nous voilà enfin sur le toit du monde. Quatre mille deux cent trente et un mètres. Que dis-je : neuf mille sept cent dix mètres en comptant la base du volcan enfouie dans l’océan. Un décor grandiose, où seul un ranger venu nous demander si tout allait bien nous tient compagnie.

Claude et Louis ont déjà fait mieux. Pour Christine et moi-même c’est une première, après les trois mille huit cent et quatre-vingt-trois mètres du Petit Cervin. Et ici, nous sommes arrivés en voiture, depuis le bord de mer…

                       

C’est peut-être de la suggestion, mais je ne suis pas tout à fait à l’aise. Il me semble de bouger au ralenti et je ressens une sensation de lourdeur que je n’arrive pas à décrire. Mes compagnons d’aventure ne disent rien. Malgré la beauté des lieux, nous ne restons pas longtemps. Pourtant le coucher du soleil doit être splendide…

Au bout de la descente, la ville nous attend. Huit mille quatre cent soixante-deux mètres de dénivellation en une journée ! Qui dit mieux ?

Kailua-Kona, plongée dans les ombres de la nuit, est assez agréable. Magasins, restaurants et touristes se mêlent joyeusement dans une ambiance de fête. Vingt-deux degrés, la température idéale. La terrasse de l’Outback Steakhouse nous semble l’endroit parfait pour terminer une journée époustouflante. Rondelles d’oignons frits, morceaux de viande à toutes les sauces, patates au four… Un repas typiquement américain. Pas mal.

La maison qui nous accueille, un « bed and breakfast » cette fois-ci, est encore une fois superbe. Noyée dans une très belle propriété, elle domine la coulée de lave qui se perd dans la mer. Notre chambre, superbement meublée et équipée,  donne sur une  piscine que j’ai d’ailleurs testée hier après-midi, dès notre arrivée. Un véritable havre de paix.

Chez nous, elle vaudrait des millions. Ici, elle ne doit pas être donnée non plus. Je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi celui qui les moyens de se faire construire une telle maison éprouve le besoin de la louer à des touristes. A un prix dérisoire, d’ailleurs. Allez comprendre…

Pour une fois, nous n’avons pas de programme préétabli. Une sorte de journée libre…Pourquoi ne pas partir découvrir la côte nord de l’ile ?

Quelques kilomètres suffisent pour laisser les immeubles locatifs de la ville dans notre dos. La route coupe en deux des énormes champs de lave qui s’étalent à perte de vue. Cette même lave qu’on émiette parfois pour créer des élégantes bordures aux îlots de gazon artificiel qui annoncent un « resort » de luxe et son immanquable golf, véritable oasis dans le désert.

Sur notre gauche, Kekaha Kai State Park. Pourquoi pas ? La route qu’y amène, défoncée et parsemée de plaques de lave ne fait pas peur à notre 4×4. Je retrouvé le plaisir de la conduite. Mais, il y a des passagers à l’arrière, dont une blessée… La plus petite accélération suscite des protestations injustifiées. Dure est la vie de l’aventurier !

                           

Au bout de l’aventure, une belle plage, déjà bien fréquentée en ce dimanche matin de novembre. Mais la partie où nous dirigeons est rocailleuse et déserte. Qu’il ne soit pas dit que nous sommes venus sur une plage d’Hawaii sans plonger dans la mer. Je m’élance. La température de l’eau est assez agréable, j’essaie quelques brasses. Je ne vais pas bien loin, hélas. Le fond de mer est à l’image du sol, les vagues assez puissantes. Je m’étale à plusieurs reprises, mes genoux n’appréciant guère les chocs contre les rochers. Je m’agrippe au premier bloc de lave et je ne bouge plus. J’aurais au moins essayé.

Quelques dizaines de kilomètres plus loin, nous roulons toujours dans la lave. Puis, soudainement, après Havi, un village qui rappelle le Far-West, tout change. Des vastes prairies balayées par le vent qui laissent bientôt la place à une forêt tropicale luxuriante. La route se fraie péniblement un chemin dans une végétation compacte. Telle un gigantesque serpent, elle voudrait nous capturer dans ses anneaux. Elle ne peut pas et, lorsqu’elle s’ouvre enfin, vaincue, les magnifiques falaises de la Kohala Coast battues par le vent et les vagues, se dressent devant nous.

           

             

Nous sommes même très courageux de nous aventurer sur le Pololu Trail qui descend raide vers la mer. Ne trouvez-vous pas ?

Et puis, lorsque nous rebroussons chemin, à l’intérieur de l’île, les paysages changent encore. Des magnifiques pâturages, des fermes verdoyantes, des centaines de vaches. Je ne crois pas à mes yeux. Où est donc passée la lave ?

                       

De retour à la civilisation, nous cherchons en vain à manger mexicain, japonais ou coréen. C’est dimanche et tout semble fermé. Notre chance habituelle nous conduira au Mi’s Waterfront Bistro, un restaurant italien comme son nom l’indique. Ils savent cuire les pâtes et accorder leurs sauces méditerranéennes au poisson local. Ils savent aussi choisir leurs vins, car le Barbaresco que nous goûtons est délicieux…

De bon augure pour la suite de nos aventures.

J’ai fait l’acquisition d’une poignée et d’une lampe sous-marine pour ma Go Pro. Lorsque nous embarquons sur le catamaran qui doit nous amener faire du snorkelling dans la baie où jadis fut tué James Cook, je me vois déjà héritier de Cousteau, évoluer et filmer entre tortues de mer, poissons et dauphins. Nous ne sommes que six sur un bateau qui supporte une trentaine de passagers. Cela commence bien.

La suite sera plus mitigée. Tout d’abord, il y ces satanées palmes que j’enfile pour la première fois de ma vie, puis il n’est pas évident de nager avec une seule main, l’autre étant occupée à tenir la poignée. Pour couronner le tout, je suis tellement pris par les besoins de l’art photographique que j’en oublie de serrer les dents sur le tuba… L’eau de mer est très peu de mon goût. J’émerge tel un bouchon de champagne. Christine et Louis, restés sur le bateau doivent bien se marrer. Quant aux deux membres de l’équipage, ils en ont vu d’autres… Généreux, ils m’offrent un bâton de mousse.

 

Claude, elle, nage avec une élégance certaine.

                         

Soyez indulgents, les copains ! Pour un premier essai, j’aurais pu faire bien pire.

D’ailleurs, j’aurais rapidement l’occasion de m’améliorer. Tout à l’heure, une sortie nocturne avec les raies Manta nous attend. Claude et moi-même piaffons d’impatience…

Il est dix-huit heures trente. Devant les bureaux un peu vieillots et peu engageants de Splashers Ocean Adventure, nous avons enfilés une combinaison que l’une de nous trouve seyante. Elle n’est que serrée…

Nous attendons deux personnes qui doivent venir avec nous et qui sont en retard. Les voilà qui arrivent. Ils ne se pressent même pas. Je dois avouer ressentir un petit plaisir sadique lorsque le capitaine les engueule.

Enfin, nous voilà embarqués sur un Zodiac qui file dans la nuit. Impossible d’anticiper les creux. Je ne vois rien. A deux reprises je risque de passer par-dessus bord. Vingt minutes plus tard, nous sommes sur place.

L’ancre est jetée, la plateforme mise à l’eau et les projecteurs s’allument pour attirer le plancton. C’est notre tour. Quelques brasses et nous nous agrippons au passe-main qui entoure le radeau.

Et la magie opère…

Immédiatement, une raie m’effleure d’un gracieux mouvement. Si je pouvais, j’en aurais la bouche bée.

Dans la pénombre, j’aperçois tout d’abord les nageoires qui surmontent sa tête, puis sa bouche grand ‘ouverte. Enfin, pris dans les faisceaux des projecteurs, ce géant des mers, qui atteint les deux tonnes et sept mètres d’envergure, se dévoile dans toute sa splendeur. D’un « looping » parfait, il s’approche de nous, avec une telle élégance que j’ai l’impression de vivre dans un monde au ralenti. Je peux presque compter les tâches noires qui colorent son ventre. Puis, le mince aiguillon qui lui sert de queue disparaît dans les ténèbres.

Et ça revient, encore et encore. Des frissons me parcourent. Ce n’est pas le froid, mais le plaisir.

                         

Depuis le bateau, Christine et Louis ont vu trois dauphins venir jouer près de notre radeau. J’étais tellement fasciné par le spectacle que je n’ai rien remarqué. Je vois par contre le phoque moine qui vient se gratter le ventre contre la quille du zodiac. Notre matelot est totalement surexcité. Il n’y en que cinq dans la baie.

Il enfile des palmes longues d’au moins un mètre, attrape une torche et plonge, sa Go pro à la main, à la recherche du film de sa vie. En vain.

Nous allons fêter cette grande aventure sur la terrasse du Sheraton, au restaurant Rays on the Bay. Une plateforme est à la mer, à une centaine de mètres. Nous apercevons dans l’eau les silhouettes des plongeurs qui guettent les raies.

Pourquoi diable se mouiller ? Deux d’entre elles fuient les projecteurs. Elles viennent jouer sous nos yeux, à quelques mètres du rivage. C’est prodigieux. Je ne cesse de passer de la table à la balustrade de la terrasse, un verre de vin ou un morceau d’hamburger à la main… Demain, nous quitterons Big Island. Nous sommes un peu tristes, car nous avons beaucoup aimé. Personnellement, je suis séduit !