Gorges qui se dévoilent, montagnes qui se confondent avec l’horizon, ombres et lumières, la route devient belle à l’approche de Kwandwe Private Game Reserve.
Ici, pas de savanes et d’acacias fièrement dressés dans l’espace infini, mais une végétation dense qui monte et descend. Des centaines de cachettes et des milliers de surprises.
Un verre de bienvenue à la main, j’écoute Nick, notre guide, un Noir très jovial en apparence, me poser la sempiternelle question.
-Que voulez-vous voir ?-
-Le léopard !-. Que voulez-vous répondre d’autre.
– Pas de problème. Il en avait un ce matin…-.
Les guides des meilleurs lodges africains sont parfaitement formés, y compris dans l’art de gentiment manipuler leurs clients et leur faire croire que leur souhaits sont des ordres. À nous de lui faire comprendre que nous avons une certaine expérience de ce genre de joutes…
Mais trêve de bavardages. En voiture. Christine et moi-même sommes très curieux de découvrir les premières réactions de Sophie et Christian face à la faune africaine.
Et cela commence bien. Des silhouette d’éléphants se dévoilent, là haut sur la crête. De plus en plus proches… Nick nous conduits sur leur chemin qu’il doit quitter au plus vite car nous sommes trop minuscules pour rivaliser avec une horde de pachydermes qui veulent emprunter notre même parcours. Images splendides de mères qui conduisent leurs jeunes d’un pas décidé, sûres de leur force. Images impressionnantes d’un mur gris qui avance vers nous. Et Christian et Sophie, me demandez-vous ? Je n’en sais rien, j’étais trop occupé à maîtriser ma crainte…
Tout s’est passé tellement vite qu’ils n’ont pas eu le temps de nous identifier. Mais c’est désormais chose faite…
La Sand River s’écoule paisiblement dans un profond ravin qui longe notre piste. Coup de frein… Deux lionnes surveillent la marmaille, cinq lionceaux d’âges différentes. Sophie se bat pour déplier son pied hi-tech, mais la voiture bouge.
-Nous n’allons pas descendre !- s’exclame-t-elle…
-Bien sûr que si- j’ajoute, un peu sadique.
Manoeuvre périlleuse car la pente est raide. Mais Nick est un as. Nous voilà installés à une vingtaine de mètres de nos lions qui achèvent les maigres restes d’un phacochère.
Il est de notoriété publique que les jeunes sont curieux. Sous le regards ennuyés des deux adultes, à tour de rôle, l’un ou l’autre viennent voir ce drôle d’animal qui leur fait face, parfois à quelques mètres. Ils ont beau être jeunes, ils sont déjà assez gros pour nous manger. L’air est chargé de frissons.
Ouf… Les voilà tous ensemble, couchés à distance de sécurité. Pas pour longtemps. Un éclair et tout ce monde est dressé sur ses pattes.Les muscles se tendent sous la peau, les regards se font inquiets et menaçants à la fois, le bruit des grognements résonne fort et clair. Qu’est-ce qu’il se passe ? Les eaux du fleuve charrient une grosse éponge…
Sophie a surmonté son épreuve du feu. Elle est désormais une vétérane. Nous pouvons rentrer.
Hier, nous avons testé les ponchos du lodge pour échapper à quelques gouttes de pluie. Aujourd’hui, le ciel est serein, mais il fait frisquet. Treize degrés, je croyais que nous étions en Afrique.
Mais oui, nous y sommes. La preuve : deux guépards, père et fils. Ces gros chats racés ne vivent pas ailleurs. Comme d’habitude, ils sont totalement indifférents à notre approche. Tout au plus, ils se lèvent et font quelques mètres lorsque le bruit du déclenchement de nos appareils les indispose, sans toutefois oublier de marquer leur territoire dans le cas improbable que nous deviendrions guépard.
Nous restons un bon moment avec eux. Mais leur ventre est creux. Ils doivent manger. Les voilà qu’ils se mettent en chasse. Aurions-nous la chance de les voir attaquer une proie ?
Là-bas, dans les broussailles, nous apercevons un groupe de kudus, mères et petits. Trop gros pour nos amis guépards. Et pourtant… C’est bien vers eux qu’ils se dirigent. Dix mètres, quinze peut-être, puis ils se couchent. Longs moments d’attente. Les voilà repartis pur mieux se cacher un peu plus loin. Le jeu se répète, une , deux, trois fois. Nous nous arrêtons pour laisser la nature prendre le relais. Dans mes jumelles, je distingue le troupeau traverser le chemin, progresser en direction des guépards. Maintenant, je cadre la tête de l’un d’eux et la silhouette d’un kudu. Le temps se fige. La respiration se bloque. Nous allons assister à une mise à mort, c’est certain !
Et bien, non. Les kudus passent et les guépards ne bougent pas. Pourquoi donc ? Nick nous explique que le terrain est bien trop buissonneux et irrégulier pour une attaque. Enfin, ils le savaient d’avance… Ce n’était pas la peine de nous tenir en haleine !
Deux petits jours que nous sommes ici et déjà il est aisé de constater que, si la réserve abonde en herbivores, ceux-ci ne sont guère faciles à photographier. Zèbres, gazelles de Thompson, kudus, élands, bubales, gnous et j’en oublie fuient notre approche. Le terrain recouvert de végétation, l’absence de larges esplanades d’où ils peuvent apercevoir les prédateurs les rendent extrêmement méfiants.
Certes, ils savent très bien que nous ne sommes pas des prédateurs, mais ils ont appris qu’un léopard ou un guépard peut se cacher derrière la voiture…
Tant pis. Retournons à nos lionceaux. Ils ont changé de coin, mais ils sont toujours au bord de la Sand River, cachés dans des roseaux. Cette fois-ci, nous ne pouvons pas descendre leur dire bonjour. La pente est vraiment trop raide. Nous devons nous contenter d’admirer leurs joutes.
Pas longtemps toutefois. Un vent violent et glacial s’est levé. Tout le monde grelotte. Dix degrés. Je fouille mon petit sac à la recherche d’un pull salvateur… Peine perdue, le sac est vide. La boutique du lodge va faire des affaires ce soir.
Tout le monde veut rentrer. Tout le monde ? Personne n’a demandé mon avis. Mais je sais me sacrifier pour le bien du groupe. Je parviens néanmoins à obtenir une courte halte pour admirer madame qui part en chasse.
Sophie est restée au lit.
-Impossible de la réveiller- nous dit Christian. Ah, ces citadines. Fatiguées au plus petit effort…
Eh bien, elle va louper notre premier lion mâle. Après l’avoir cherché par monts et vallées, de l’autre côté de la rivière, nous retournons sur nos pas et nous le dénichons près du lodge. Accompagné d’une femelle, il s’adonne à son sport préféré : dormir. Il doit avoir quelques gênes de Sophie en lui…
Couché sur le dos, les quatre fers en l’air, il ne bouge presque pas. Pas très digne de toi, seigneur des lieux ! J’ai presque envie de descendre lui tirer la queue, mais, paraît-il, cela ne se fait pas.
Nous attendons, nous attendons. Il se lève enfin et nous comprenons les raisons d’une telle fatigue. Sa tête porte les traces d’un combat qui a dû être rude. Mes excuses, Monseigneur, j’ai été irrespectueux…
De retour au lodge, Sophie nous accueille avec le sourire. Elle va mieux et sera de la partie cet après-midi. Pas rancuniers pour un sous, nous la ramenons rendre visite au couple royal. Ils ont bougé, dix mètres peut-être… D’habitude, un mâle et une femelle ensemble c’est un signe de période d’accouplement, mais nous sommes restés ensemble assez longtemps pour constater que ce n’est pas le cas. Par contre, la lionne ne cesse de léchouiller le mâle, attitude que nous n’avions jamais remarquée auparavant entre adultes. Bizarre.
Saliki, le chercheur de piste, dont je ne vous ai pas encore parlé, celui qui reste assis sur le siège placé sur le capot de la voiture, paratonnerre en cas d’attaque, a repéré des phacochères et des cobs à croissant pas très loin. Il pense que les deux lions vont partir en chasse. Il a peut-être raison car les voilà qu’ils se mettent en route. Nous les suivons de loin… Peine perdue. Ils ne tardent pas à se recoucher. Pourquoi donc le mâle m’adresse un sourire narquois ?
À propos, nous sommes bientôt à la fin du troisième jour et nous n’avons pas encore vu de léopard. Nick ne tient pas sa parole et ne s’en vante guère. Nous ne lui en voulons pas trop. Il fait des efforts…
Une tortue léopard. Pas trop mal joué, l’ami !
Je ne le répéterai jamais assez. L’avantage des réserves privées par rapport aux parcs nationaux est celui de pouvoir quitter les pistes. Nous en avons une nouvelle preuve ce matin. Notre couple de lions a décidé de bouger. Il arpente son royaume en se faufilant dans la végétation. La lionne toujours en tête, ils se déplacent au pas, mais c’est fou comme ils vont vite. C’est le départ d’un rodéo amusant. A toute vitesse sur les pistes et plus péniblement dans le bush. C’est sportif… Le terrain est tout sauf plat. Entre un saut et l’autre, une main agrippée à un montant de la voiture, l’autre occupée à récupérer l’appareil photo qui veut vivre sa vie, nous vivons des moments passionnants. Une oreille par là, une queue par ici, nous les perdons, nous les récupérons et nous les perdons encore.
Mais Saliki est aussi bon pour le repérage que Nick pour la conduite. Il nous mène d’une main sure aux bons endroits. Le voilà suggérer à Nick de s’arrêter au coin d’un chemin. J’ai beau me lever sur mon siège. Je ne vois rien… Un ordre de nos guides et je me rassois. La tête du mâle vient de surgir dans la broussaille à quelques mètres de nous.
Au gré de nos déplacements et de nos arrêts, les lions disparaissent et réapparaissent, jamais là où je les attends… Je vis avec une folle intensité le moment sublime où le lion ou la lionne vont surgir du néant, majestueux et indifférents à ma misérable présence. Voilà une fois encore la tête du mâle, marquée par ses cicatrices, s’encadrer entre les buissons. Mon regard la quitte un court instant… Un raphicère (steenbok par ci) se terre dans les racines. Je vois son souffle se bloquer, la peur dans son regard. Il doit prier son dieu car le fauve est à quelques mètres. Il passera sans le voir ou alors estimant que si peu de chair ne valait pas l’effort…
Nous avons mérité notre apéritif. Nous voilà arrêtés sur une colline. Christian et moi-même savourons l’instant. Si court. Sophie veut voir des hippopotames.
Un peu plus loin, changement de décor. Deux jeunes girafes mâles s’entrainent aux futurs combats pour les femelles. Aujourd’hui ce n’est qu’un jeu. Demain, ce sera une rude bataille entrainant des graves blessures, peut-être la mort. Difficile l’imaginer pour des animaux à l’apparence douce et placide. Encore une fois, c’est la loi de la nature…
Il serait dommage de quitter Kwande sans un dernier souvenir.