Elle a tout pour être belle. Des villes avec une histoire, des côtes donnant sur l’Atlantique et la Méditerrané, un relief très contrasté fait de plaines, hauts plateaux et chaînes montagneuses recouvertes de forêts, qui culminent aux plus hauts sommets espagnols.
Elles est belle. Nous pouvons l’affirmer car nous la connaissons déjà un peu.
♥ El Parque nacional de Doñana
L’un des sanctuaires naturels le plus connu d’Europe, le parc nous avait laissé sur notre faim, il y a deux ans. En pleine polémique sur les fermes de fraises et autres fruits installées tout autour du parc, asséchant la nappe phréatique et les zones humides par leur prélèvement d’eau illégaux, Doñana nous avait laissé l’impression d’une réserve vivant sur sa renommée.
Une impression qui ne s’est pas dissipée cette année. Les Centres des visitantes sont vétustes et sans âme.
Celui d’El Acebuche annonce, à grands renfort de panneaux, les mérites et les bienfaits de deux lagunes, Il n’y avait pas une goute d’eaux il y a deux ans, il n’y a pas une cette année. Les nombreux et beaux postes d’observation donnent sur une mer d’herbe. Il serait temps de remplacer lesdits panneaux.
Le centre José Valverde se résume à une vaste bâtisse vitrée donnant sur un étang. Une courte palissade avec des fentes d’observation, mal entretenue, le parcourt sur quelques dizaines de mètres. Nous n’avons pas été les seuls à y venir et à repartir très vite.
Juste le temps d’admirer des échasses blanches.
Reste celui de la Rocina. Il dispose d’un très beau sentier sur passerelle de trois kilomètres qui longe les bords de la rivière, dans une magnifique pinède. Il conduit à quatre observatoires qui, contrairement à notre précédente visite, étaient désertés par les oiseaux. C’est le risque accepté par tout observateur, mais la Rocina, comme les autres centre, semble figé dans le temps.
Rien n’est organisé pour mettre en valeur le parc. La présence, à des horaires variables, d’un ranger qui doit s’ennuyer sur sa chaise, ne change rien à notre appréciation.
Heureusement, la nature n’as pas besoin de l’homme. En se déplaçant très lentement en voiture sur les routes et les pistes du parc, nous profitons d’un paysage changeant et parfois superbe et faisons d’excellentes rencontres.
Une vieille caserne de pompiers délabrée, à proximité du centre visiteurs José Valverde, nous avait offert, il y a deux ans, une rencontre avec des bihoreaux. Nous sommes dans le coin, autant y retourner.
La magie opère. Non seulement il sont toujours là, très nombreux, mais, après un moment de panique, dû à notre arrivée, ils nous offrent un magnifique moment. Ils s’envolent, adultes et jeunes, magnifiques silhouettes dans les airs, puis reviennent se poser et repartent, à plusieurs reprises.
Ils se sont habitués à notre présence. Nous nous régalons et eux aussi, tout au moins, je veux le croire.
Dehesa de Abajo n’est pas à l’intérieur de Doñana, mais sa proximité avec les marais du Guadalquivir en fait une prolongation naturelle.
Drôle de réserve, où, certains jours on pratique la chasse, tout en protégeant la faune. Comme il se doit en Espagne, le centre d’information est désert, comme le sont les arbres où nichaient les cigognes il y deux ans. Mais les choucas des tours sont toujours là et ils ne sont pas seuls.
La lagune de la Rianzuela, complètement asséchée en 2022, a refait surface, comme par miracle. Depuis les deux observatoires, nous nous faisons plaisir.
Des centaines de foulques macroules, quelques canards souchets, davantage de nettes rousses, mais surtout cinq sarcelles marbrées, une nouveauté pour nous. Elles sont rares en Europe et menacées de disparition.
Elles restent désespérément au centre de la lagune. Parfois elles semblent vouloir s’approcher, mais c’est une blague.
Elles sont en plein contre-jour. Mais elles sont là.
Nous multiplions les réglages de nos appareils. Tentative après tentative, sans grand succès. Mais nous sommes têtus. Nous attendons que le soleil baisse à l’horizon et nous parvenons à réussir deux images passables.
Un clin d’oeil charmant d’une région qui nous laisse un peu sur notre faim. Nous retournerons sûrement en Espagne, mais nous ne sommes pas sûrs de vouloir revenir à Doñana.
♥♥♥♥ La sierra d’Andujar
L’Andalousie est le seul coin d’Espagne où est censé vivre le linx ibérique, le symbole de la faune ibérique. Quelques exemplaires vivraient encore dans le Doñana, mais nous avons quelques doutes.
La sierra d’Andujar est leur royaume. Inutile donc de nous demander pourquoi nous sommes revenus ici.
Dès notre arrivée, nous empruntons la route de la Lancha, haut lieux de l’observation de ce félin, une sorte de pèlerinage, car c’est ici que nous l’avions aperçu, en contre-bas de l’un des cinq observatoires, pendant quelques poignées de secondes.
Comme il y a deux ans, nous apercevons une chouette d’Athéna, plus ou moins au même endroit.
Bon présage ? Non, fausse alerte. Le lynx ne viendra pas cette fois-ci.
Nous devrons nous contenter d’une sympathique famille de bouquetins d’Espagne au bout de notre route, devenue piste, à l’Embalse del Jàndula.
Nous avons décidé de mettre toutes les chances de notre côté. Pendant deux jours, nous avons réservé un affût dans une propriété privée où le lynx abonde, à cause de la prolifération des lapins, sa nourriture presque exclusive.
Il est sept heures du matin et il fait encore nuit. Nous voilà dans une cour, en compagnie de neuf autres passionnés. Personne pour nous accueillir. Le guide, si on doit l’appeler ainsi, arrive dix minutes en retard, nous informe que les séances d’observation auront lieu de sept à onze heures du matin et de quinze à dix-neuf heures l’après-midi. Selon lui, nous avons entre 30 et 50% de chances d’apercevoir le lynx lors de la première, 70 à 90% lors de la deuxième. Puis nous conduit dans une grande hutte munie de fentes d’observation, où nous sommes censés nous entasser.
Christine réclame, car il était prévu que nous disposions d’une hutte pour nous tous seuls. Elle obtient gain de cause. Nous voilà installés.
Bref, nous avons connu des Espagnols plus sympathiques.
Quelques minutes. Deux grands yeux ronds apparaissent parmi les rochers. Un jeune qui découvre la vie ? Elle doit lui paraître bien sombre, car il s’en va très rapidement. Un adulte lui emboîte le pas. Moins circonspect, il reste plus longtemps, il s’assied même quelques instants devant nous.
C’est magnifique, c’est magique. Un rêve s’exauce. Je n’ose pas y croire, pourtant ils sont là !
Il fait encore nuit. Le flou de bougé guette chaque mouvement. Mais c’est le manque de lumière ou mes mains qui tremblent ?
Deux heures s’écoulent. Une tête se profile la-bas, au fond de la scène. L’adulte revient, observe immobile les environs un bon moment, puis bouge dans les rochers. On dirait qu’il chasse, mais je crois qu’il s’amuse. Quoi qu’il en soit, il reste une bonne vingtaine de minutes avec nous.
Il est nettement plus petit que le lynx boréal que nous avons eu l’occasion de voir dans un parc ou l’autre. Une vraie réplique en miniature. Haut sur pattes, tirant sur le brun tacheté, ses caractéristiques touffes de poils dressées comme des antennes sur ses oreilles, il bouge avec l’élégance innée du félin. Il glisse parmi les rochers sans effort apparent et, lorsqu’il s’arrête, il ressemble à un chat surdimensionné.
Le premier lynx de l’après-midi est aussi un mâle, mais pas celui de ce matin. Il n’a pas de cicatrice à la narine droite. Il me semble aussi plus jeune. Son pelage tend plus au gris, mais c’est peut-être un effet de lumière.
Combien temps reste-t-il, couché devant notre cachette, à une dizaine de mètres de nous ? Je ne saurais pas vous le dire, je suis trop occupé à l’admirer. Seul son regard bouge et j’ai l’impression qu’il me fixe dans les yeux. Il doit savoir que nous sommes là, mais cela semble totalement l’indifférer.
Il finit par s’en aller, remplacé peu après par le maître des lieux, le mâle adulte de ce matin. C’est un plaisir de le voir bouger, avancer sur ses pattes veloutées, sauter d’un rocher à l’autre. Nous voudrions réussir les photos parfaites, mais la lumière s’en va et c’est difficile.
Encore un grand moment. Une succession de grands moments, à vrai dire. J’en ressens encore du plaisir maintenant que j’écris ces quelques lignes.
C’est le lendemain que nous mesurons la chance que nous avons eu. Sept heures et quart à observer le vide, ou plutôt une bande de lapins qui ne semblait pas craindre l’arrivée du prédateur.
Puis, alors que nous apprêtions à plier bagages, notre première et unique femelle arrive, magnifique dans la lumière tamisée de la nuit qui s’avance.
Nous sommes venus ici dans l’espoir de voir le lynx. Je ferme les yeux et les images de ce splendide félin apparaissent. Je les ouvre et il est toujours là.
Je dois avouer qu’il m’est difficile de me concentrer sur les deux jours qui nous restent dans le coin. Que pourrais-je voir de plus beaux ?
Christine me vient en aide. Elle m’emmène dans la sierra Magina, une île au milieu d’une mer d’oliviers. Une mer ? Je devrais écrire un océan que nous traversons sur un pont de plusieurs dizaines de kilomètres. La route finit par monter, gravir une colline, puis une montagne. Joliment. Des rapaces, probablement des vautours, sur les sommets les plus lointains, un merle de roche, notre premier, que nous ne parvenons pas à photographier, un bruant fou. Lui aussi est une première.
Le lendemain, nous sommes de retour sur la route de la Lancha. Nous n’avons pas perdu espoir de croiser un lynx pour nous tous seuls. Nous verrons un couple en rut, mais tellement loin… Et nous ne sommes pas tous seuls, bien au contraire.