Le serval est un animal nocturne. Il est donc difficile à observer. Dans nos pérégrinations africaines, nous en avons vu rarement, toujours au lever du jour et pendant des courts instants. Il y a donc un peu d’excitation dans l’air lorsque Samy nous annonce en avoir repéré un. Michel et moi rejoignons rapidement l’autre voiture. « Il est caché dans l’herbe », nous annonce Christine. Pendant de longs moments, plusieurs paires de jumelles fouillent la savane, en vain.
En 2011, je me souviens en avoir aperçu un, plus ou moins au même endroit. Nous avions pu le suivre brièvement. Cette année, les pluies ont rendu le terrain marécageux par endroits. Même Michel ne peut pas faire de miracles. Christine et son équipe s’en vont. Nous faisons preuve d’un peu plus d’opiniâtreté. Le voilà qui ressort de sa cachette. Il chasse. Notre présence semble moins le gêner que celle d’oiseaux qui volent autour de lui et donnent l’alerte à ses éventuelles proies.
Ce grand chat est d’une élégance exquise. Il se déplace avec aisance et ne s’arrête pratiquement jamais. Michel est contraint à de nombreuses manœuvres hors-piste – il est au bénéfice d’une autorisation pour ce faire – pour essayer de le suivre. Il court, il bondit, il change soudainement de direction. Pas facile du tout à filmer. Nous vivons l’un de ces moments qui font vite oublier les longues heures passées à chercher partout et, une fois trouvé, à attendre que l’animal bouge ou se rende intéressant. Nous l’ignorons encore, mais nous en vivrons d’autres aujourd’hui.
Pour l’instant, l’autre équipe a déniché un groupe de lionnes et de lionceaux qui s’empiffrent de ce qui reste de la carcasse d’un buffle. Celle-ci est enfouie dans l’eau boueuse d’un marécage. Les rois de la savane aurons besoin d’une sérieuse toilette avant de retrouver leur majesté. Il n’est pas question de descendre de la voiture pour les y aider.
Masai Mara - lionne 2013
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Masai Mara - lionceau 2013
Il est déjà dix heures. Comme d’habitude, Michel nous a quittés, pour retourner au camp et s’occuper du déjeuner. Qu’il dit, tout au moins. Je crois simplement qu’il a besoin d’un peu de solitude.
Peu importe. Samy et Motoron ont repéré nos premiers guépards. Il s’agit d’une femelle avec son jeune, un garçon qui doit avoir quatorze ou quinze mois. Il va devoir bientôt la quitter et se débrouiller tout seul. Bien qu’il y ait un peu plus de monde qu’en 2011, à la même époque, nous sommes seuls ici. Un grand moment en perspective.
Mais pourquoi nous regarde-t-elle comme ça ? Non d’une pipe, elle ne va pas le faire ? Eh bien, oui. Un bond, un appui sur le pneu de secours et la voilà couchée sur la tente de toit de la voiture. Celui-ci est ouvert et nous avons, Christine et moi, un guépard à un mètre de nous. Nos sièges nous semblent trop petits pour nous y recroqueviller. Mais bientôt, rassurés par Samy, nous trouvons le courage de nous lever. Nos yeux se reflètent dans ceux de deux guépards. Deux, car le fiston a rejoint sa mère. C’est fabuleux. Nous entendons leur respiration et nous sentons leur odeur. Nous voyons les ergots de leurs pattes qu’ils utilisent pour renverser leur proie. Nous sommes tellement près qu’en tendant le bras nous pourrions les toucher.
Il m’est impossible de trouver des mots pour décrire ce que je ressens. C’est un long moment d’émotion intense, de frissons de pur bonheur. Encore un rêve qui se réalise.
Sur la voie du retour au camp, nous sommes tellement survoltés que nous avons de la peine à apprécier pleinement ce groupe de lionnes qui se promène dans la savane ou encore ces hyènes et ces vautours qui se disputent les restes d’un damalisque. C’est pourtant beau, mais nous sommes encore avec nos guépards.
Nous avons hâte de partager nos émotions avec Michel. Celui-ci nous annonce que nous retournerons sur place cet après-midi dans l’espoir de retrouver nos fauves et d’assister à une chasse. Belle perspective qui multiplie notre appétit.
Il est 1600 heures. La température est agréable (29 degrés avec un léger vent rafraichissant). Nous avons retrouvé Malaïka et son fils. Ici, depuis le passage de la BBC, on donne un nom aux prédateurs. Les deux guépards suivent un troupeau de damalisques et de gazelle de Thompson. Si les premiers sont des adversaires trop puissants pour une femelle, les deuxièmes sont leur proie préférée. Commence alors une longue partie d’échec. Les guépards se déplacent nonchalants vers leur garde-manger, en alternant les pauses, cachés dans les herbes ou couchés sur une termitière, pour se faire oublier. Les voitures des touristes (nous ne sommes plus seuls malheureusement) les suivent et le troupeau paît plus ou moins tranquillement, quelques bêtes toujours en alerte.
Contrairement aux autres, nous plaçons nos véhicules loin des guépards, sur leur axe présumé d’attaque. Nous avons déjà eu l’occasion de constater que Michel est un as dans ces manœuvres. Mais cette fois-ci, il n’y a que des fausses alertes. Le temps passe, les voitures des lodges partent l’une après l’autre. Le soleil se couchera bientôt.
Soudainement, Malaïka part comme une flèche, en direction des gazelles, pourtant bien loin. Grosse débandade de silhouettes chinoises, là-haut sur la colline. D’une main, Michel conduit son Land à une vitesse folle, de l’autre il m’explique qu’elle a seulement voulu disperser le troupeau, car les jeunes gazelles, qui ne peuvent pas suivre la fuite, se tapissent dans les herbes pour lui échapper.
Effectivement, le calme revenu, nous la voyons faire des grandes cercles dans la savane, mais lorsque nous devons la quitter (il est interdit de rouler dans le parc la nuit), elle n’a rien trouvé. Nous reviendrons demain matin, c’est promis.
Pour mieux tenir notre promesse, nous nous installons sur les bords de la rivière Olare Oro. Pendant le repas, les lions s’appellent, au loin, et les hyènes discutent, un peu plus près. Plus tard, les hippopotames nous souhaiterons la bonne nuit.