Le jour pointe son nez. Nous avons retrouvé nos deux guépards. Ils sont couchés sur une termitière et ne bougent pas. Impossible de savoir s’ils ont mangé ou pas. Commence alors une longue attente, seuls avec eux. Vingt, trente, quarante minutes s’écoulent, rien ne se passe. Une ou deux voitures nous ont rejoints.
Enfin, ils daignent se lever ! Mince, leur ventre rebondi prouve qu’ils ont trouvé une proie et même une grande. C’est raté pour notre premier « kill » (c’est ainsi qu’on appelle ici une attaque réussie d’un prédateur). Nous n’avons vraiment pas de chance.
Puis, soudainement, l’attitude de Malaïka change. Elle se fige, le regard fixé sur l’horizon, elle fait quelques pas et démarre en trombe. Michel et Christine foncent derrière elle. Nous suivons péniblement. Au fond, dans les herbes de la plaine, nous voyons quelques gazelles s’enfuire. La voilà qui revient. Dans sa gueule, elle tient un faon de gazelle de Thompson. Elle se couche à quelques pas de nous, haletante, pour récupérer de son effort, sa proie bien calée dans ses crocs. Son rejeton s’approche.
Commence alors l’une de ces scènes que nous avons tous vu à la télévision. Mais nous ne sommes pas dans notre salon, nous sommes au Kenya et tout se passe sous nos yeux.
Le faon n’est pas mort et le gamin peaufine ses techniques de chasse. Comme un chat avec une souris, il laisse partir sa proie, la rattrape, la couche d’un coup de patte, la retient avec ses griffes.
Il feint de se désintéresser d’elle. Parfois, un peu sadique, il la lâche et s’éloigne de quelques pas. L’instinct de survie de la gazelle joue son rôle. A maintes et maintes reprises, elle tente de fuir et de se cacher dans les herbes. Elle y parviendrait même, car le fiston est encore un peu maladroit. Mais Malaïka n’est jamais loin et elle veille au grain. Sous nos yeux ébahis et ceux des occupants de nombreuses voitures qui nous ont rejoints, le spectacle, car il s’agit d’un spectacle de la nature selon ses lois, se poursuit pendant une bonne heure. Il se termine comme il doit se terminer, dans les hautes herbes de la brousse.
Après le café, nous partons à la chasse du léopard. Masaï Mara, comme divers autres endroits d’Afrique noire, regorge de léopards. C’est le seul animal dont le nombre semble progresser car il s’agit d’un prédateur secret, solitaire et rusé, très difficile à observer et donc à déranger.
Pendant des heures et des heures, nous longeons les rivages de l’Olare et de la Talek, tout d’abord avec Samy et Motoron, puis, dans l’après-midi, à deux voitures, en nous séparant. Nous bénéficions même de l’aide des véhicules des lodges avoisinants (Intrepid et Rekaro), bienvenus en l’occasion. Le léopard confirme sa réputation. Nous ne le verrons pas aujourd’hui.
Nous rencontrerons par contre un magnifique rhino noir. Il n’y en a que trente dans le parc. Celui-ci ne semble pas vouloir partir au galop et nous parvenons à nous en approcher suffisamment pour le photographier.
Le rhino noir a la réputation d’être plus nerveux et plus agressif que son homologue blanc. Il est plus petit et il se reconnaît assez facilement car il a le museau pointu, alors que celui du rhino blanc est carré. Celui qui se tient devant nous broute tranquillement. Il nous regarde de temps en temps et s’éloigne dès que nous essayons de gagner quelques mètres de ce qui est visiblement sa distance de sécurité. Je dois avouer que, au-delà de quelques premiers plans de leur corne magnifique et de quelques scènes de nuit, où les lumières sont différentes, je ne suis jamais parvenu à enregistrer des images originales d’un rhino. Peut-être un jour l’un d’eux nous chargera et j’aurai les nerfs assez solides pour le filmer. Quoi qu’il en soit, le rhino n’est pas et ne sera jamais un animal qui me fascine.
En fin d’après-midi, pour une fois, je suis le premier à apercevoir un lion mâle couché en bordure d’un groupe de buissons. Nous nous approchons, mais il n’y a vraiment pas de quoi utiliser ma caméra. Puis, à l’improviste, Motoron sort sa tête et son tronc de la fenêtre de la voiture. Le lion se lève d’un bond terrifiant et s’enfuit en grognant. C’est la deuxième fois que j’assiste à une telle démonstration. Il semble que les jeunes Masaï devaient naguère tuer un lion pour devenir des guerriers, mais c’est -paraît-il- une vieille histoire. Par quel beau mystère de la nature, la haine ou la peur du Masaï s’est transmise sur plusieurs générations de lions ? Il faut le voir pour le croire !