Réveil matinal, aujourd’hui. Nous partons pour le Mara Triangle et Isaac nous y attend avec la voiture. Nous traversons la Mara sur une barque attachée à un filin, qui nous fait franchir les quelques mètres qui nous séparent de la berge opposée, où est installé Little Governor’s Camp. Ce n’est pas une grande aventure. Les flots de la rivière peuvent être plus tumultueux (n’est-ce pas les gnous ?).
En guise d’accueil, deux mâles damalisques se livrent devant nous à un combat acharné. Ils se font face, prennent leur élan et se précipitent l’un contre l’autre. Un fléchissement de jambes antérieures arrête le coup de cornes de l’adversaire, potentiellement très dangereux. D’après Isaac, il s’agit d’un combat réel et non pas d’un jeu. Difficile de désigner un vainqueur. D’autres mâles s’en mêlent. Les cornes s’entrechoquent. L’un des combattants fini par s’enfuir à grandes enjambées saccadées…
Nous retrouvons les paysages magnifiques de ce coin du parc.
Gazelles, antilopes et girafes. Girafes, gazelles et antilopes. Mais surtout éléphants. Il y en a partout. L’escarpement d’Oloololo, qui borde ce secteur du parc, joue son rôle de drainage de l’eau. Le sol est humide, l’herbe verte et les marécages abondent. Les pachydermes adorent ça. Il faut même faire attention, car il n’est pas question de leur couper la priorité lorsqu’ils décident de traverser la piste.
Le temps s’écoule. « Ce ne sont pas des lions, là-bas ? » s’exclame l’un de nous. Pour une fois, nous avons devancé Isaac, car il s’agit bien d’un couple de lions en période de reproduction. Il y en a d’ailleurs un autre un peu plus loin, à quelques centaines de mètres. Nous jouons les voyeurs.
L’accouplement des lions est un rituel étrange. L’acte lui-même ne dure qu’une trentaine de secondes. Pendant ce temps, le mâle tient la nuque de la lionne dans sa gueule et la mord au cou. A la fin, la femelle s’écarte en rugissant et en chassant son maître. Suivent enfin 15 minutes (nous avons contrôlé, montre en main) de répit, les deux fauves reprenant des forces. Puis la lionne se lève, se frotte au mâle et tout recommence, parfois 50 fois par jour et sur plusieurs jours. Quel boulot, mon frère…
Isaac s’est mis à rouler dans la savane. Il va et il vient, souvent par les mêmes chemins. Un court arrêt, quelques mots échangés avec un copain guide et il recommence à rouler. Nous aimerions bien savoir ce qu’il cherche, mais nous jouons le jeu. Comme il n’arrête pas de s’intéresser aux arbres, nous supposons qu’il guette un léopard. Ce n’est pourtant pas un terrain qui nous semble propice à ce félin.
Soudain, son visage se fend d’un sourire. Il démarre en trombe, fait quelques centaines de mètres et il nous présente trois superbes guépards mâles. Ils se promènent nonchalants devant nous, étalant leur puissance qui les rends si différents des femelles, bien qu’aucun signe extérieur évident puisse les différencier de celles-ci. Grâce à des savantes manœuvres, nous les croisons et les recroisons. Je crois que nous serions encore en train de les suivre, s’ils n’avaient pas décidé de s’en aller en Tanzanie.
Jusqu’à il y a quelques mois, une fratrie de guépards, trois magnifiques fauves, arpentait les plaines du Masaï Mara. On les appelait « les trois frères » et ils étaient devenus une légende du parc. Leurs forces unies faisaient la loi dans la savane et on les croyait invincibles. Pourtant, en novembre dernier, nous avions appris qu’il n’en restait que deux, le troisième s’étant fait tuer par ses frères, lors d’une dispute pour une femelle. Nous avions appris la nouvelle avec un brin de tristesse car ils nous avaient offert des moments inoubliables. Est-ce que la nature est déjà en train de les remplacer ?
Les guépards ne sont plus là, mais les chacals oui. Ils se baladent en couple, à la recherche de nourriture. À plusieurs reprises, nous essayons de les approcher. Ils sont assez méfiants et ils s’éloignent avant que nous puissions dégainer nos armes photo. À force de persévérance, nous attirons une femelle, plus curieuse que les autres. Fatale erreur. Elle n’y échappera pas.
Il est temps de rebrousser chemin. Depuis la sortie du Mara Triangle, il y a une heure et demie de route à parcourir. Néanmoins, nous avons encore le temps de déranger un énorme éléphant mâle qui est en train de prendre son bain de boue, tout en picorant une herbe ou deux. Il n’est pas content et il nous le fait sentir. Il se lève, secoue tête et trompe, agite ses oreilles. Il finit par traverser devant nous, pour s’éloigner sur la piste.
Depuis que nous avons fait l’objet d’une charge sérieuse d’une matriarche au Botswana, j’éprouve un profond respect pour cet animal, pour ne pas utiliser un autre mot très peu viril. J’avoue être rarement tranquille lorsque nous approchons ces énormes animaux.
Mais… Pourquoi diable Isaac se met-il à suivre l’éléphant sur la piste ? Michel m’a expliqué un jour qu’il dangereux de le faire, surtout si l’animal s’arrête et regarde en arrière. Et voilà que notre mâle vient de le faire. Nous sommes à une trentaine de mètres, je m’apprête à intervenir auprès d’Isaac, quand celui-ci fait demi-tour. Ouf !
Sacré journée. Nous avons bien mérité un bon repas.