Petite ville d’origine mormone, Moab est devenue une icône du tourisme grâce à sa situation privilégiée au milieu d’un désert rocailleux sculpté par des dizaines de canyons, mésas, arches et autres curiosités géologiques d’une beauté qui nous bouleverse.
Si nous avions des doutes à ce sujet, quelques pas le long de sa Main Street, bordée d’hôtels, restaurants et magasins de souvenirs, suffisent à les dissiper.
Mais, vous vous en doutez, ce n’est pas la raison de notre présence ici. Moab est la mecque du véhicule tout-terrain. Dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres de nombreuses pistes mettent à rude épreuve les capacités des conducteurs les sillonnant. Certaines peuvent être vaincues uniquement avec des véhicules profondément modifiés, d’autres demandent une certaine dose d’inconscience. Enfin, quelques-unes sont à la portée du commun des mortels.
A notre tour de nous mettre à l’épreuve.
Geyser Pass et La Sal Pass
A la sortie nord de Moab, nous empruntons la route 128. Pendant une bonne vingtaine de kilomètres elle longe le Colorado qui se creuse un chemin tranquille entre d’impressionnantes falaises qui nous cachent le soleil matinal, mais qui se parent déjà, ici et là, de sa lumière.
Rapidement, la vallée s’écarte. Les formations rocheuses de Castle Valley remplacent les falaises abruptes de la rivière.
L’émerveillement est omniprésent.
La route grimpe le long des contreforts de La Sal Mountains. La végétation change avec l’altitude. Les genévriers laissent leur place aux chênes, les chênes aux trembles.
La piste de Geyser Pass n’en est pas une. Une route en terre battue qui ne présente aucune difficulté. Mais le feu a méchamment sévi par ici et peut-être les travaux de remise en état ont modifié la donne.
Grimpons encore, en direction de La Sal Pass. Les montagnes nous entourent, deux petits lacs font leur apparition, un gué qui n’en est pas un, des jolis paysages. Rien d’extraordinaire. Nous parvenons à trois mille mètres, avant de redescendre vers Moab.
Une agréable promenade et une bonne mise en jambe.
Spring Canyon Bottom et Deadman Point
Autre jour, autre aventure.
Nous revoilà dans un terrain désertique typique de la région. Vastes espaces parsemés de falaises, mesas et cathédrales d’ocre orangées, vraie piste cahoteuse et un brin piégeuse.
Rien de bien compliqué, il faut juste faire attention à l’endroit où on met les roues. Christine se régale au volant. Il n’est jamais trop tard pour apprendre.
De nombreuses pistes s’éloignent du tracé principal. Un peu au hasard, nous choisissons celle qui mène à Deadman Point. Des vastes plaques rocheuses où il faut trouver son chemin et des escaliers qui demandent quelques précautions. Mais nous commençons à en avoir l’habitude.
Au bout de la piste, plusieurs centaines de mètres plus bas, les méandres de la Green River nous tendent les bras. C’est très spectaculaire. Dommage que le fort vent nous conseille un usage prudent de notre drone.
De retour sur Spring Canyon Bottom, Christine, le nez sur notre bible, m’annonce une descente abrupte, dangereuse en cas de pluie.
Je souris intérieurement, mais je ne devrais pas. La piste descend dans le canyon, pour nous conduire aux bord de la même rivière que nous admirions depuis le haut, il y a quelques instants.
Coincé entre falaise et vide, je n’en mène pas large, même si j’essaie de ne pas le montrer. C’est impressionnant, d’autant plus que les pluies ont creusé des ravines ici et là. Il faut les éviter et il n’y a pas beaucoup d’espace.
Un tournant en dévers. La voiture s’incline vers le vide. Je m’y prends à deux fois, lentement, très lentement. Un coup d’adrénaline et nous passons.
Un décor dur et d’une beauté sauvage dans son hostilité que je ne suis pas prêt d’oublier.
Hurrah Pass et Long Canyon
Des énormes murs de grès accompagnent notre progression. Ils semblent vouloir nous décourager de continuer notre route, mais ils finiront par nous céder passage.
Les falaises multicolores s’écartent et dévoilent leurs formes. Le paysage prend de l’ampleur. La nature transforme quelques pierres en décors de rêve. Moab et ses alentours ne finiront jamais de nous surprendre.
La piste monte vers le col, très inégale. Nous n’avançons pas très vite, d’autant plus que nous arrêtons souvent pour laisser passer les groupes de jeeps et de buggys qui ont décidé de nous suivre.
Hurrah Pass est décidément très populaire. Nous n’en sommes évidemment pas enchantés. Mais cela nous donne le temps d’apprécier ce coin du monde, dans toute sa beauté.
Au sommet, nous avons l’impression de nous retrouver dans un parking de supermarché. Fuyons vite et entamons la descente vers Chicken Corners et le Colorado.
La piste devient plus difficile. Plaques rocheuses, corniches et sable. Je me concentre sur la conduite.
Et puis, au-delà d’un virage, c’est la tuile. Une montée, longue et raide, dans un terrain rocheux parsemé de trous et d’escaliers. Le passage existe, mais il est très étroit, en dévers et franchement impressionnant. Mon courage m’abandonne, d’autant plus que je devrais le refaire au retour, en descente. Rouge de honte, je renonce.
Nous aurions dû camper un peu plus loin, au bord d’une falaise donnant à pic sur le Colorado. Il faut trouver une alternative. Long Canyon nous tend les bras.
Quelques grands corbeaux nous souhaitent la bienvenue. Pas du tout timides. L’un d’eux vient même s’emparer d’un biscuit qui me glisse des mains pour finir à mes pieds.
Ce n’est que le début d’un grand moment. Sur douze kilomètres, la piste descend de six cent cinquante mètres, en s’insinuant entre deux falaises tellement rapprochées que je crains ne pas pouvoir passer. Des pluies, plus ou moins récentes, ont créé des ravines qui ne me disent rien de bon. Si le bord de la piste devait céder sous le poids de la voiture, nous serions dans des beaux draps.
Christine et moi-même croyons fortement en notre bonne étoile. Encore une fois la chance nous assiste. Pas pendant longtemps ! Un énorme rocher est tombé à travers le chemin. Impossible de passer. Il y a bien une fente, mais seule une souris pourrait l’emprunter.
Illusion d’optique. Falaise et rocher ont créer un tunnel qui s’avère assez large et haut pour notre voiture. Ouf !
Long Canyon ne dure pas longtemps. Mais c’est un parfait résumé de ce que nous aimons dans ces terres. Solitude et silences qui planent entre falaises et colonnes de pierre, sentinelles d’espaces infinis où voltigent mille couleurs.
C’est tout simplement éblouissant. Malheureusement, nous ne pourrons pas passer la nuit ici. Il est désormais interdit de camper, pour protéger la flore et la faune.
Refrain déjà entendu lors d’autres voyages. Même ici, il devient de plus en plus difficile d’éviter les autres humains.
Ce soir, nous dormirons dans l’isolement d’une chambre d’hôtel.
Bartlett Wash Road et Courthouse Rock
Nous commençons à nous méfier de notre bible 4×4. Certaines pistes classées « easy » nous ont semblé être plus difficiles que celles définies « moderate ». Question d’expérience, sans doute.
Alors aujourd’hui, nous allons mélanger le facile au plus compliqué.
Bartlett Wash Road n’est pas une piste, mais plutôt un enchevêtrement de pistes qui partent dans tous les sens et qui, parfois, ne se rejoignent pas. Notre guide la décrit comme étant facile et spectaculaire.
Commençons par les dinosaures de Mill Canyon. Une agréable promenade matinale le long d’un sentier, à l’accès libre, bien balisé. Plus de deux cents traces et empreintes d’au moins dix dinosaures différents.
Christine est aux anges. Pour moi, cela reste une tache dans les sédiments calcaires. Je préfère m’intéresser au paysage.
Continuons en nous égarant. Une déviation ratée et nous cherchons notre chemin dans un décor assez différencié. De la piste facile au gués boueux, du fond rocheux à la progression dans le sable.
Ce qui nous vaut une montée impressionnante où je laisse notre jeep choisir son parcours pour reprendre le contrôle du volant uniquement pour franchir un très étroit passage au sommet de l’obstacle.
Frissons à l’état pur. J’ai cru que la voiture allait redescendre toute seule.
Mais nous finissons par retrouver la bonne direction. Merci Christine, ma navigatrice désormais rompue à tous les pièges.
Courthouse Rock est une autre paire de manches. Il n’y a pas de piste. Nous avançons sur la roche en suivant quelques traits de peinture blancs, ballottés dans tous les sens. Somme toute, c’est amusant, d’autant plus que nous évoluons dans des paysages époustouflants.
Willow Springs Road
Notre mascotte insiste. Elle tient absolument à se rendre là où elle pourra admirer les traces de ses ancêtres. Pouvions-nous la décevoir ?
Poursuivons. Plaques rocheuses et sable. Rien d’infranchissable, mais je dois quitter quelques fois le véhicule pour m’assurer du passage. Christine en fait de même et s’amuse à m’indiquer où je dois mettre les roues.
Willow Springs Road a surtout un mérite. Elle nous conduira à l’arrière du parc national des Arches, où nous pourrons pénétrer en évitant les queues interminables de l’entrée officielle, accessible seulement en réservant un créneau horaire.
Voilà d’ailleurs le portail qui indique l’entrée dans le parc le plus visité des États-Unis. Il suffit de l’ouvrir et de le refermer après notre passage.
Mais n’allons pas trop vite. Sur notre gauche, s’élance Tower Arch, une piste classée « difficult ». Je crois déceler une petite lueur d’appréhension dans le regard de Christine. Mais nous savons tous les deux que le passage le plus difficile est sis après notre but final.
La piste est étroite, sablonneuse, mais nous ne craignons plus ce genre de configuration.
Une mesa à l’horizon, bientôt nous l’atteignons. Un court chemin, où seuls les crotales pourraient nous tenir compagnie, nous conduit à l’arc.
Un dernier effort, j’escalade un talus très pentu. Depuis sa voûte, mon regard erre sur l’un des ces superbes tableaux que seuls ces endroits peuvent peindre.
Le spectacle continue. Les centaines de formations rocheuses d’Arches NP sont uniques au monde. Même si nous ne sommes pas seuls, nous avons évité la foule qui tant m’avait déplu l’année passée. Nous nous régalons.
Island in the Sky
Cela semble impossible, mais il peut aussi pleuvoir à Moab. Et la pluie peut aussi être accompagnée par le brouillard.
Dans ces conditions, parcourir cette vaste mesa plate, dominant les immenses espaces sauvages de Canyonlands, avec ses rivières sinueuses, ses gorges, arches et aiguilles, perd beaucoup d’intérêt.
Nous guettons une éclaircie, un coup de vent dissipant l’espace d’un instant nuages et brouillard. Il n’y en aura pas beaucoup.
Juste le temps de rapporter cette image du Shafter Trail que nous avions parcouru l’année passée pour accéder à la magnifique White Rim, trois cents mètres plus bas.