LE MONDE DE LA NUIT

♦ 11 juin 2013

   

Le vent est tombé, il fait beau, mais froid. Cinq petits degrés, que nous avons tout le loisir d’apprécier lorsque notre véhicule tombe en panne, à quelques centaines de mètres du lodge. Pendant que nous attendons les secours (qui tardent, ce qui agace profondément Matthew), un éléphant mâle sort des buissons en barrissant. Il est à quelques dizaines de mètres de nous et nous sommes bloqués dans le sable. Heureusement, il se contente de nous regarder, de secouer ses grosses oreilles et s’en va.

Un beau moment d’émotion. La journée s’annonce bonne. D’autant plus, qu’une fois repartis, nous tombons sur un couple d’oréotragues (oui, oui, vous avez bien lu) qui se pavanent entre arbres et rochers. Nous défions le froid et restons un bon moment à les admirer.

     

 

La quête au léopard reprend. Nous aimerions bien en voir un la journée. Après tout, il n’est pas interdit de rêver. Il pourrait bien être sur cet arbre là, dépourvu de feuillage, en train de dévorer sa proie ou alors, encore mieux, en train de hisser son butin sur cette branche ici, tellement accueillante. Revenons à la réalité. Continuons de chercher.

Hier soir, après le repas, Dominique, Françoise et surtout Delphine nous ont avoué avoir une préférence pour Mala Mala par rapport au Masaï Mara, où les animaux sont présents à chaque instant. Bien que totalement amoureux de Masaï Mara (et de Christine), je peux les comprendre. Il est excitant et valorisant de devoir découvrir les animaux dans ce fouillis de végétation. Mais, quand même, un peu de coopération ne gâcherait rien !

 

 

     

 

Faute de combattants, nous obligeons presque Matthew à s’arrêter et à sortir l’un de ces paniers qu’il a trimballés tous les jours sans jamais les utiliser. Un bon café et quelques biscuits ne seront pas de trop pour nous redonner un peu d’espoir. Nous en profitons pour lui faire part de notre étonnement sur le peu de monde présent à Mala Mala dans une période favorable comme l’est le mois de juin. Il nous confirme que la fréquentation est en baisse. La crise passe aussi par ici.

Il est 1700 heures lorsque notre guide nous annonce qu’une troupe de lions suit de près un troupeau de buffles. Les fauves n’ont pas mangé et nous avons une chance d’assister à une chasse.

Sur les plages sablonneuses de la Sand River nous découvrons trois lionnes et huit lionceaux. Il s’agit de l’une des cinq prides de Mala Mala, sans mâle attitré. En fait, les quatre mâles présents dans la réserve vont et viennent entre une troupe et l’autre. Non, non Dominique : pour une fois il est interdit de rêver.

Je suis surpris d’apprendre que trois lionnes adultes soient suffisantes pour  s’attaquer à des proies aussi dangereuses que des buffles. Matthew nous explique qu’il s’agit d’animaux dans la pleine force de l’âge et très expérimentés. Nous verrons.

Les couleurs pastel de la lumière déclinante du jour nous offrent des images toujours différentes de nos lions. Les adultes ne bougent pas beaucoup, mais les lionceaux ne peuvent pas s’empêcher de jouer. Ils sont très souvent drôles et nous ne voyons pas le temps passer.

La nuit est désormais là. Les projecteurs fouillent les buissons. Une sorte de ballet fantasmagorique se déroule sous nos yeux. Dans une atmosphère irréelle, une lionne se lève, fait quelques pas et se recouche. Une autre baille. De faim ou d’ennui ?

   

 

   

L’air est chargé d’électricité. Je crois que Matthew et ses deux copains qui conduisent les autres voitures sont aussi excités que nous. Une lionne bouge, c’est le départ ! Non, fausse alerte, elle avait peut-être une crampe à la patte arrière-gauche. Nos nerfs s’usent à ce petit jeu sans cesse renouvelé, mais nous tenons bon. La troupe s’élance, se fraie un chemin entre les buissons et remonte le talus de la rivière.

Nous ne l’avions pas attendue. Matthew a placé le véhicule tellement judicieusement que nous voyons les lions de face.  Lentement, ils viennent vers nous. Quel contraste entre le regard froid et déterminé des lionnes et les têtes rieuses des lionceaux. C’est magique.

Pendant un moment, nos fauves suivent la piste. Nous bougeons sans cesse et ils passent et repassent à côté de notre voiture. Puis, ils s’enfoncent dans la brousse. Matthew se montre un as de la conduite d’un tout terrain. Dans un noir presque absolu, il se joue de tous les obstacles. Manœuvres, contre-manœuvres, coups de freins, marche-arrière et vitesses réduites, il avance. Un arbre abattu ? Il le contourne. Un ravin imprévu ? Il met les gaz et le traverse. Un passage bouché ? Il fonce dessus et il passe outre. Tout cela, d’une main, car l’autre tient le projecteur qui fouille l’obscurité, à la recherche de nos lions. Il est largement le meilleur, car souvent il remet sur la bonne pistes ses camarades de jeux.

Et nous? Nous adorons. Surtout lorsque, le regard braqué sur le faisceau lumineux, nous voyons, du coin de l’œil, les lions défiler à côté de nous, dans la nuit, surgissant brusquement de nulle part.

Les arbres et les arbustes nous lâchent enfin. Ils laissent la place à une clairière plus dégagée. Un peu plus loin, nous entendons les buffles. Matthew, toujours en tête de file jusqu’à présent, arrête le véhicule. Nous ne comprenons pas, mais nous apprendrons par la suite que la jeep de son chef est arrivée sur place. Il ne peut plus suivre son instinct…

Nous y sommes. Tout s’agite. La chasse est partie. Bruits de sabots, éclairs déchainés.

       

Une lionne, une seule, tient le museau d’un jeune buffle, un mâle je crois, dans sa gueule. Elle l’étouffe lentement, sa patte avant-droite accrochée solidement à sa nuque. Il se bat, le pauvre bougre, mais c’est une bataille perdue d’avance. Étonnamment, les autres lions et les autres buffles se contentent de regarder. Certes, il y a cette mini-charge d’un buffle à l’encontre d’un lionceau qui s’approchait trop, mais c’est plus un baroud d’honneur qu’un véritable secours à son congénère.

Les secondes s’égrainent lentement, presque au ralenti. Les pattes avant du buffle fléchissent. Ca y est. Il s’écroule. Il est terrassé. La chasseresse se redresse, haletante et fière de son œuvre. Son regard inamical se braque sur nous. Encore des frissons, avant de comprendre qu’elle est aux aguets, craignant le retour du troupeau.

Les autres lions s’affairent autour de leur proie. Les lionceaux glissent sur le cuir épais du buffle, s’accrochent comme ils le peuvent, mordillent une patte, tentent un coup de langue râpeuse. Bref, ils jouent avec la nourriture, les chenapans. Sans les adultes, qui leur ouvriront une voie, ils ne pourraient jamais se nourrir.

Mala Mala, monde de la nuit, nous t’aimons  à la folie.