LES PYRÉNÉES ESPAGNOLES

 

Nous voici à Ainsa, une charmante petite ville médiévale située au confluent de deux rivières et dominée par les montagnes, aux portes du Parque Nacional de Ordesa y Monte Perdido.

Les quelques kilomètres que nous avons parcourus, depuis la frontière, pour y parvenir, nous ont déjà donné une bonne image des Pyrénées, à la fois sévère, faite de montagnes découpées dominant les forêts, de gorges étroites aux rivières fougueuses, et souriante avec ses prairies où villages ou hameaux se sont figés dans le temps.

Nous croyons savoir qu’il existe ici un charnier où l’on offre aux vautours fauves, dont nous avons aperçu quelques rares silhouettes dans le ciel, les restes d’animaux morts.

Mais cela semble être un secret d’État. Christine a beau demander à droite et à gauche, personne ne semble être au courant. C’est mal connaître sa ténacité. J’ai déjà renoncé depuis belle lurette, lorsqu’elle finit pour dénicher un guide, sur la place du château. Rendez-vous est pris demain matin à 0900 heures pour nous conduire à la cachette sise aux bords dudit charnier.

C’est déjà demain matin. A peine descendus de notre voiture, nous apercevons vingt-et-un vautours fauves qui surveillent une esplanade, vaillantes sentinelles d’une armée que nous devinons nombreuse, dissimulée dans les arbres, même lointains, aux alentours.

 

 

Installés dans une minuscule cabane munie de vitres sans tain, nous observons notre guide déverser quelques babioles, des pattes et des têtes de boeuf.

Le ciel s’obscurcit. Ils arrivent par ondées, les uns après les autres, inarrêtables.

 

 

Le sol disparait sous un tapis de serres, plumes et becs. C’est la curée. Parfaitement dissimulés à une dizaines de mètres, nous observons, fascinés. Pas seulement. Nous cherchons le meilleur cadrage pour réussir le cliché parfait. Ce n’est pas évident, nos 500mm sont trop puissants.

 

 

Un explorateur ennemi se profile. Il s’en va très rapidement. La puissance de feu de l’adversaire lui a sûrement fait peur.

 

                      

 

Les heures passent. Il est déjà presque midi, le moment de sortir un petit en-cas du sac. J’entends Christine s’exclamer « il arrive ». « Qui arrive ? » lui répond-je distraitement.

« Le gypaète » enchaîne-t-elle. Je n’en crois pas mes oreilles, la regarde. Le nez en l’air, bouche bée, elle l’admire en vol, l’appareil photo sur les genoux. Je me précipite sur le mien, je déclenche, mais il s’est déjà posé.

 

 

Quel splendide oiseau ! Poitrail orangé, ailes de bronze, tête blanche à la barbichette noire, il promène son regard amusé cerclé de rouge sur les alentours. Indifférent aux autres, on dirait qu’il se croit seul au monde.

Il a repéré son os, mais il ne se presse pas. Un court envol et il tient sa proie. Il s’en va déjà !

 

 

Il reviendra deux fois, surgissant à l’improviste, toujours au même endroit. Nous ne le verrons plus en vol.

Nous n’oublierons jamais ces images époustouflantes. Il nous est même difficile de choisir l’une ou l’autre marche des prochains deux jours. Que pourrions-nous voir de mieux ?

Diable, il nous faut se ressaisir !

Les Miradores de Revilla sont atteignables par une petite promenade d’une heure sans trop de difficultés. Ils ont la réputation d’être l’un des meilleurs endroits pour rencontrer le gypaète barbu. L’idée de pouvoir l’admirer en vol nous plaît.

Le sentier longe la falaise, le plus souvent dans la forêt, presque à plat. Nous pourchassons en vain quelques passereaux qui jouent avec nous, se faufilant d’un arbre à l’autre. De temps en temps, ceux-ci s’écartent et notre vue peut planer sur les murs de pierre : un vautour se repose sur son rocher, quelques grands corbeaux vont et viennent.

Au bout du chemin, le coup d’oeil vaut le déplacement. La rivière, un mince filet d’eau, tout au moins depuis ici, a creusé une gorge profonde et étroite qui se faufile entre les hautes falaises. Nous cherchons en vain les vautours à la jumelle sur chaque parois rocheuse.

Il sont là haut, jouant avec les thermiques des crêtes qui nous dominent. Des points dans le ciel. Nous croyons discerner la queue en losange d’un gypaète.

Une longue attente non récompensée.  Les vautours resteront là haut.

Une pause le long du chemin de retour. Deux vautours fauves parcourent la vallée, viennent nous dire bonjour. Une cigarette à la main, le soleil de face, je ne me donne pas la peine d’effectuer quelques réglages, je prends une ou deux photos plus par réflexe qu’autre chose.

De retour à Genève, en triant mes photos, je découvrirai qu’il s’agissait d’un couple de gypaètes. Je suis en colère contre moi-même.

D’autres promenades, d’autres excursions : le canyon d’Anisclo et ses paysages majestueux bien que la partie plus intéressante de la route soit coupée ; la vallée de Chisten, magnifique et sauvage, où nous découvrons, après avoir franchi trois tunnels plutôt étroits, un autre charnier qui n’est visiblement plus approvisionné depuis un bon moment ; le sentier de l’ermitage de San Urbez qui se faufile entre des magnifiques falaises où nous n’apercevons pas les rapaces qui devraient les fréquenter.

Nous n’avons pas eu le temps de nous ennuyer, loin de là. Mais le souvenir de notre passage dans les Pyrénées espagnoles restera celui de ce vendredi 15 novembre, jour où vautours fauves et gypaète barbu se sont ligués pour nous offrir un spectacle inoubliable.

 

 

 

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