♦ 27 mai 2013
Les premières lumières du jour resplendissent sur les crêtes rocheuses, mais une mer de brume matinale s’étend à nos pieds, recouvrant la vallée. Lorsque nous nous mettons en route, nous apercevons à peine la piste. Les animaux, surtout des buffles, sortent de leurs cachettes tels des fantômes.
C’est beau, c’est magique, d’autant plus que le soleil fait sa lointaine apparition, là-haut sur les falaises. Les couleurs changent à chaque virage, dans un tableau sans cesse renouvelé. Au lointain, les vautours, installés dans leur nid en pierre, jouent aux ombres chinoises.
Hell’s Gate est un beau parc, totalement différent de l’image classique des savanes africaines. Nous y serions bien restés un jour de plus, mais un long voyage nous attend. Au bout de celui-ci : Masaï Mara, le royaume de Michel qui l’arpente depuis 25 ans au moins.
Un court arrêt à Narok nous permets d’améliorer notre ravitaillement. C’est une bourgade comme toutes celles que nous avons rencontrées jusqu’ici. Ça grouille de monde. Les gens et leur habillement ont simplement changé car nous sommes au cœur du pays masaï. C’est certainement un réflexe de nanti, mais ne pouvons pas nous empêcher de nous demander comment une foule pareille parvient à subsister dans des régions tellement peu hospitalières pour l’homme.
Nous avons déjà emprunté la piste qui conduit au parc et nous savons que nous allons être ballottés dans tous les sens. Ce que nous ne savons pas c’est qu’elle a été rendue impraticable par la pluie, ce qui nous oblige à un détour de plusieurs dizaines de kilomètres et à emprunter une piste encore plus mauvaise. Et alors ? Masaï Mara nous attend.
Plus nous nous en approchons, plus nous rencontrons les typiques villages et les grands troupeaux de vaches qui côtoient de nombreuses gazelles de Thompson et quelques damalisques. Pendant un long moment, malgré les radios, nous perdons le contact avec la voiture de Michel et nous vaguons dans la brousse à sa recherche. Les retrouvailles entre les deux chauffeurs sont très tendues. Qu’importe. Masaï Mara s’approche.
Nous entrons dans le parc au moment le plus beau du jour africain : le soleil se voile derrière l’horizon, la lumière se fige, avant de disparaitre, le décor se teint de couleurs pastel, le silence s’installe. Débout dans la voiture de Michel, le visage fouetté par l’air, j’hume la savane, je perçois ses saveurs et je m’en repais.
Ici, Michel est connu comme le loup blanc. Les gens l’appellent « the Frenchman » et ce sobriquet lui va comme un gant. Grâce aux liens amicaux qu’il a établi avec les Masaï, il peut s’installer pour la nuit dans des endroits magnifiques et solitaires. Notre bivouac de ce soir est un endroit appelé Crocodile Camp, sis en bordure de la Mara, dans un bosquet de grands arbres, où dorment parfois les vautours.
Lorsque les flammes du feu de camp s’épuisent et les lumières s’éteignent, remplacées par le faible rayon de nos lampes frontales, nous retrouvons ce sentiment indéfinissable qui nous pousse à gagner le plus rapidement possible l’abri si aléatoire de notre tente de toit. Est-ce l’inquiétude de la proie face au prédateur ? Ici, Michel partage son royaume avec lions et léopards.
D’ailleurs, qu’est-ce que c’est là-bas, à une trentaine de mètres ? Les torches sortent de leur étui à la vitesse de l’éclair, leurs faisceaux fouillent les herbes. Ils dérangent une hyène qui s’écarte de quelques mètres et se couche, patiente.
Nous ne tarderons pas à l’entendre fouiller le camp, une fois tout le monde disparu dans sa tente.