Le Parc national de Canyonlands, celui des Arches, Vernal et Moab, tous des endroits que nous avons aimés, au point de vouloir y retourner pour retrouver l’émerveillement que nous y avons vécu et peut-être y ressentir de nouvelles émotions.
Mais ici, c’est une terre inconnue. Nous avons hâte de la découvrir.
Pendant la préparation de notre voyage, j’avais lu que Capitol Reef était un beau parc trop méconnu.
Beau, il l’est sûrement, même davantage. La route que nous sommes en train de parcourir le traverse, d’est en ouest, entre parois rocheuses aux mille formes et mille couleurs, nuances d’ocre, jaune et gris qui obéissent à l’humeur du soleil et de la lumière. Lorsque ces magnifiques falaises s’écartent, apparaissent pics et dômes qui s’enrobent d’autres teintes et d’autres ombres.
Méconnu, certainement pas. Des dizaines de voitures occupent les rares places où la route s’écarte, d’innombrables touristes s’agglutinent autour des points de vue ou au début d’un sentier. Tout ce que nous aimons.
Mais nous ne sommes pas ici pour nous mêler à la foule. Nous comptons parcourir toutes les rares pistes qui traversent le parc ou l’entourent.
Commençons par Cathedral Valley, sillonnée par une piste circulaire d’une centaine de kilomètres, parcourables uniquement avec un véhicule surélevé.
La Fremont River pourrait, en cas de pluies, nous en barrer l’accès. Mais il a fait et il fait très chaud dans le coin. Le gué est un jeu d’enfant qui déjà ôte un peu de piment à notre expédition.
Nous nous aventurons dans un désert absolument époustouflant. Les mots me manquent pour le décrire. Les collines de bentonite, argile d’origine volcanique, modèlent le paysage. Une succession de pentes aux bandes vives allant du gris au beige, du rouge au violet.
Puis viennent les formations rocheuses aux formes variées, les falaises cannelées avec leurs alcôves et ombres cachées, les monolithes, flèches se dressant dans le ciel.
Nous prenons notre temps et nous arrêtons souvent, très souvent. Nous avions prévu de marcher un peu le long des quelques sentiers qui amènent à l’intérieur des terres. Mais il fait trop chaud pour nous, 30 degrés au minimum, et nous renonçons.
La piste est cassante, mais dépourvue de difficultés majeures. Il faut juste prêter attention aux longs traits sablonneux. Un bon coup d’accélérateur et c’est terminé. Parfois notre jeep choisit d’elle-même son tracé. Il faut la laisser faire, elle revient toujours sur le bon chemin.
Le seul terrain de camping ne nous plaît guère. Certes, un semblant de végétation a refait apparition, mais l’ombre reste une illusion. Moucherons ou moustiques, aller savoir, nous agacent. Un bref conciliabule entre Christine et moi-même et nous décidons de revenir en arrière, d’emprunter Polk Creek Road.
Encore un changement de décor. De la chaleur du désert à une forêt aux couleurs automnales, brusquement, sans transition aucune. Mille mètres de dénivellation en quelques kilomètres. Lorsque nous décidons de nous arrêter, nous sommes à trois mille mètres et il fait délicieusement frais, au moins vingt degrés en moins.
Le lendemain, la piste entame une brusque descente, parsemée de gros rochers. Elle demande un peu d’attention. Pas question de se croire sur une autoroute.
Nous sommes sur le chemin de retour. Hier, nous étions seuls. Aujourd’hui, nous croisons quelques voitures. Fort probablement des visiteurs qui ont voulu éviter le gué et ont emprunté l’autre route d’accès. Le Temple du Soleil et celui de la Lune, deux des nombreux monolithes de la vallée, ne sont pas loin.
Pause sandwiches. Sur notre droite, part une piste difficile. Je suis partant, Christine un peu moins. J’obtiens le feu vert en échange d’un lit confortable à l’hôtel, au lieu du pauvre matelas de notre tente de toit.
Pas de quoi fouetter un chat. Çà monte et ça descend et il faut parfois chercher son chemin à travers les plaques rocheuses d’origine clairement volcanique.
Puis, une brusque et raide montée se profile. A son sommet, le passage nous semble bien étroit, coincé entre des rochers infranchissables et le ravin. Une reconnaissance s’impose. Je dois admettre que c’est assez impressionnant, d’autant plus que le passage est loin d’être plat, encombré de trous et d’escaliers rocheux.
J’enclenche les courtes, Christine me guide. Un filet de gaz, mais il faut bien accélérer pour gravir les obstacles. L’adrénaline monte, mais je passe. Ouf !
Tellement stressés, que nous avons oublié de filmer ou photographier notre exploit. Un mauvais point pour les aventuriers que nous croyons être.
La suite ne nous pose aucun problème. Christine aura sa nuit à l’hôtel.
De quoi être frais et dispos pour notre prochaine étape, South Draw Road, une piste considérée comme problématique. Nous avons visionné, avant notre départ, quelques vidéos et effectivement nous y avons décelé quelques passages qui s’annoncent passionnants.
On l’atteint après avoir parcouru Scenic Drive, route pittoresque qui part depuis le Visitor Center de Fruita. Et là, nom d’une pipe, nous apprenons que Scenic Drive est fermée !
Encore un changement de programme obligatoire. Adieu South Draw Road, il ne nous reste qu’à emprunter Notom Road et le Burr Trail, en direction de Boulder. Nous les avions prévus à un autre moment de notre voyage, mais nous n’avons pas d’autre solution, sauf celle de rouler sur les routes asphaltées.
Nous progressons dans des paysages extraordinaires. C’est incroyable comme le grès, omniprésent ici, peut peindre des toiles toujours différentes. Nous parcourons des kilomètres, mais nous ne cessons d’attirer l’attention de l’autre sur un dessin particulier, une nuance dans la couche sédimentaire, une sculpture particulièrement audacieuse.
Pour échapper à la partie asphaltée de Burr Trail, nous n’hésitons pas à emprunter une boucle qui ne l’est pas, Wolverine Loop Road. Du grès, encore du grès, le désert et sa végétation rabougrie, une piste sinueuse et poussiéreuse.
Certains pourraient s’ennuyer, nous sommes aux anges. Nous regrettons presque le retour à la civilisation. Boulder et son improbable café à l’italienne. Escalante, petite ville aux allures de Far-West, où nous dénichons un bon restaurant pour l’étape du soir.
Le lendemain, Hole in the Rock Road nous attend. Une piste avec une histoire : elle a été crée, en fin du XIXème siècle par une caravane de Mormons à la recherche d’un passage vers les terres du sud de l’Utah, qu’ils cherchaient à coloniser.
Une épopée incroyable qui aboutit aux falaises dominant le lac Powell. Il leur fallut plusieurs mois pour élargir une faille et parvenir au lac avec leurs charriots.
De nombreux sentiers quittent la piste et permettent d’explorer la région. Nous choisissons celui qui doit nous conduire à Zebra Slot et Tunnel Slot Canyons, là où les falaises se referment sur vous, laissant uniquement un étroit passage, souvent inondé.
Nous tenons la forme de notre vie, il ne fait pas encore trop chaud, nous voilà en route, caméras vidéo et appareils photos sur les épaules.
Mais ce que nous croyions être une courte balade se transforme en une longue marche. Certes, les lieux sont splendides, les couleurs flamboyantes, une surprise nous attend peut-être au prochain virage, mais au bout d’une heure les canyons ne sont toujours pas visibles à l’horizon. Il faudra aussi revenir et, dans notre enthousiasme un peu benêt, nous n’avons pas pris d’eau. Un demi-tour s’impose.
Autre endroit, autre sentier, autre destination, Peek-a-Boo Slot. Cette fois-ci, nous avons pris de l’eau avec nous, car il fait chaud, très chaud, au moins trente degrés. La difficulté consiste à descendre dans le ravin depuis une superbe promenade en corniche qui domine la vallée.
Une descente très raide, le long d’une paroi assez verticale. Mais le grès accroche nos semelles. Quelques précautions et nous passons. Le chemin continue sa descente dans le sable. Nous en avons jusqu’aux chevilles pour atteindre le canyon. Il ne nous reste qu’à escalader une paroi rocheuse d’une hauteur de quatre mètres, en nous aidant des quelques trous que s’y trouvent.
La moitié de l’équipe est fatiguée, très fatiguée. Nous craignons le retour. Il faudra se battre avec une montée abrupte. Nous renonçons à tout effort supplémentaire et nous ne verrons pas Peek-a-Boo Slot.
Après tout, l’essentiel était de se promener dans des lieux splendides.
Nous ne parcourrons pas non plus Hole-in-the-Rock jusqu’au bout. Marcher nous a pris du temps et la piste n’est que tôle ondulée. J’en ai un peu marre, Christine aussi. Nous revenons sur Escalante, à vitesse élevée, seul moyen de franchir sans trop tressauter ce tapis ondulant. Gare aux embardées, mais je me sens un as du volant.
Hanksville est notre prochaine étape.
A cause de notre changement de programme, pour y parvenir, nous devons parcourir dans le sens inverse Burr Trail, avant de retrouver des pistes nouvelles. Mais il existe des devoirs plus pénibles, n’est-ce-pas ?
Petit village de quelques centaines d’habitants, il est idéalement placé, dans le désert, certes, mais à proximité des quelques parcs nationaux et d’excursions dans l’arrière pays. Les seules stations à essence dans un rayon de 100 kilomètres, ainsi que des magasins où ravitailler sont à Hanksville.
Goblin Valley State Park n’est qu’à une cinquantaine de kilomètres.
Encore un spectacle différent. Des centaines de champignons, de toutes les formes et de toutes les tailles, surgissent du sol. Le temps, l’eau et le vent ont érodés les sédiments calcaires et crée cette foule de badauds, en groupe ou isolés, admirant les formations rocheuses qui les entourent.
Pendant un moment, nous nous joignons à eux. Puis, l’attrait de l’aventure reprend le dessus. Une piste part depuis le parc : Muddy Creek Road, tellement mystérieuse que nous ne trouvons aucune carte. Notre bible 4×4 la classe dans la catégorie « moderate », entre facile et difficile. Les rangers du parc nous indiquent que personne ne l’emprunte car trop difficile. Allons y, nous verrons bien.
Quelques kilomètres dans un canyon sablonneux qui nous secouent un peu. Sur une crête, un groupe de pronghorns salue notre courage.
La piste disparaît. Un contrefort rocailleux semble nous barrer le chemin, mais il s’agit simplement de trouver notre route, courtes enclenchés, vitesse d’escargot, parmi les escaliers formés par les plaques rocheuses.
Quelques centaines de mètres et nous retrouvons les paysages magiques des collines de bentonite. C’est tout simplement beau, un voyage dans la couleur et dans l’immensité de paysages vierges de trace humaine.
Ce n’était pas si difficile que ça.
Dernier volet de cette partie de notre aventure, Manti-La Sal National Forest, nous permet de quitter la chaleur du désert pour retrouver un peu de fraîcheur sous les frondaisons.
Traverser une partie de cette immense forêt occupant 5000 kilomètres carrés, du Colorado à l’Utah, pour atteindre Moab, épicentre d’une autre histoire, c’est découvrir d’autres paysages.
L’occasion aussi de consacrer quelques moments à notre passe-temps préféré : l’observation animalière. Même s’il n’est pas facile de convaincre les oiseaux à quitter leurs arbres pour se pavaner devants nos téléobjectifs.
Les premières maisons de Moab se profilent à l’horizon. Nous revoilà en terrain connu.